Sans en avoir écumé tous les recoins, il m'en aura fallu du temps passé à parcourir la filmographie de Bo Widerberg avant de trouver le film combinant sujet et traitement qui parvient à m'émouvoir un peu plus que la moyenne basse. Ce ne sera donc pas du côté du biopic politique (Adalen 31, Joe Hill) ou du thriller 70s (Un flic sur le toit, L'homme de Majorque) mais bien du drame romantique que les planètes se sont alignées.


On l'apprend dès le premier plan du film : Elvira Madigan était une artiste de cirque et funambule danoise tombée amoureuse d'un lieutenant de l'armée suédoise, le comte Sixten Sparre, et leur relation connut une fin sordide — ils se sont suicidés. Une histoire largement inconnue dans nos contrées mais visiblement très populaire au Danemark. Bo Widerberg confectionne son film de manière agréablement déconstruite, non-conventionnelle, presque expérimentale dans la manipulation de son rythme au gré d'un montage fractionnant les actions et nous propulsant immédiatement dans le vif du sujet. D'entrée de jeu c'est tout un souffle impressionniste (le chef opérateur a sans doute eu des toiles particulières en tête pour produire ces lumières et ces cadres) qui enveloppe la relation entre deux amants, sans qu'on ne dispose de tant d'éléments contextuels. Ce n'est que progressivement, et de manière totalement anecdotique, que l'on apprend qu'il s'agit d'un homme marié et père de deux enfants qui a déserté l'armée pour rejoindre cette femme et qu'elle a fui sa compagnie de cirque pour des raisons semblables.


Dans l'écrin bucolique de la campagne danoise de la fin du XIXe siècle, on voit dans un premier temps bourgeonner un amour fou. Ils passent leur temps à s'embrasser, à rire et manger, à passer du bon temps dans une bulle éloigné de tout. Et d'éloignement justement il sera beaucoup question, puisque chacun de leur côté, les amants s'écarteront peu à peu de leurs amis, de leurs devoirs, de leurs familles. Mais le bonheur est intense alors qu'importe... Jusqu'à ce que la situation devienne de plus en plus pesante. C'est d'abord un ami qui cherche à faire rentrer le déserteur dans les rangs (autant qu'au foyer avec femme et enfants) et lui éviter une fusillade inévitable, puis l'angoisse grandissante d'être démasqués dans un coin pourtant reculé, à mesure que les annonces se font plus persistantes dans les journaux. Puis vient le temps de la précarité économique, fatalement, à force de vivre d'amour et d'eau fraîche...


Bo Widerberg a trouvé une tonalité très attachante pour son élégie tournée vers un couple amoureux se coupant involontairement du réel, les amenant malgré eux à une forme d'inadaptation fondamentale. Il parsème ses tableaux champêtres de douceurs symboliques, comme un proto-Malick, et fait évoluer certains schémas vers des registres de plus en plus inquiétants — à ce titre, l'actrice Pia Degermark dégustera au début des framboises sauvages avant de goûter, à la fin, à des baies toxiques qui la feront vomir. Et le regard qu'elle échange avec Thommy Berggren lorsqu'elle renverse la bouteille de vin rouge sur la nappe blanche, un plan qui marque autant que celui lors du mariage au début de Voyage au bout de l'enfer, contient tout le potentiel dramatique de la tragédie à venir.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Elvira-Madigan-de-Bo-Widerberg-1967

Créée

le 5 oct. 2023

Critique lue 22 fois

2 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 22 fois

2

D'autres avis sur Elvira Madigan

Elvira Madigan
Cinephile-doux
9

Une fugue avec une funambule

En 1889, le comte Sixten Sporre, lieutenant de l'armée suédoise, abandonne femme et enfants et déserte pour s'enfuir avec Elvira Madigan, funambule renommée. Quelques mois plus tard, les amants se...

le 10 sept. 2019

4 j'aime

Elvira Madigan
Morrinson
7

Tentative de fuite

Sans en avoir écumé tous les recoins, il m'en aura fallu du temps passé à parcourir la filmographie de Bo Widerberg avant de trouver le film combinant sujet et traitement qui parvient à m'émouvoir un...

le 5 oct. 2023

2 j'aime

Elvira Madigan
Zogarok
7

Critique de Elvira Madigan par Zogarok

La liaison tragique d'Elvira Madigan (Hedvig Antoinette Isabella Eleone Jensen de son vrai nom) et de Sixten Sparre est une histoire connue en Suède. Elle était funambule dans le cirque de sa...

le 1 sept. 2016

2 j'aime

1

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11