Emilie Muller
8.1
Emilie Muller

Court-métrage de Yvon Marciano (1994)

Après ce court métrage vous ne connaitrez pas mieux Emilie

J'ai regardé ce court métrage sans rien en savoir.
Je ne connaissais ni le synopsis, ni la date de tournage et je ne savais même pas s'il s'agissait d'un vrai casting filmé puis retransmis où s'il s'agissait d'une fiction, c'est dire …
Que c'est bon de se laisser surprendre ! Croyez moi, je n'ai pas été déçue.
D'ailleurs si vous n'avez pas encore regardé ce chef d'oeuvre, fermez cette page et allez directement le voir : https://www.youtube.com/watch?v=Om8e9494G-Q&t=1s


Ce film est intéressant sur plusieurs plans mais deux points ont retenu mon attention : l'épreuve proposée par les casteurs qui est assez peu conventionnelle et la réaction de la comédienne face à cet exercice.


Commençons par l'exercice "Videz votre sac" :
Au tout début je n'ai pas accroché avec l'actrice, sa voix avait quelque chose d'énervant.
Mais ça ne dure que quelques secondes car très vite on s'attache à son petit accent hongrois.
On est tout de suite happé par son regard, par l'intensité de ses expressions et la justesse de son jeu. Elle a un supplément d'humanité qui nous saisit.
Certes il s'agit de 20 minutes avec une seule actrice, sur un thème qui semble assez banal mais pour autant on savoure chaque seconde de cette oeuvre.


Lorsque les casteurs lui demandent de vider son sac on peut penser que la demande est déplacée, intrusive voire même voyeuriste.
C'est d'ailleurs le premier sentiment que j'ai eu, je trouvais ça extrêmement dérangeant.
Quoi de plus intime qu'un sac à main ?
J'y ai d'abord vu une critique des "puissants" du cinéma. C'est un domaine où les personnes sont prêtes à faire beaucoup pour avoir des rôles et les casteurs ont une puissance importante dont ils ont conscience. On demande aux acteurs de se mettre à nu, de se révéler, d'accepter les conditions de recrutement quelles qu'elles soient.
Par la suite, j'y ai vu un excellent exercice pour connaitre en profondeur une personne.

Je me dis que je devrais faire ça avec toutes les nouvelles rencontres que je fais. ;)
Quelle belle façon que d'accéder à l'essence même d'un être, sans y prêter attention, elle laisse échapper des messages, des images qui la définisse.
Elle n'a rien d'extraordinaire dans son sac, en soit elle pourrait dire : "Voilà un carnet, voilà un stylo…", mais le court métrage serait alors soporifique au possible.
Ce qui est intéressant, c'est qu'au début elle dévoile très peu de sa personne, elle passe rapidement sur les éléments qui compose son sac, c'est comme si elle redécouvrait ce qui lui appartenait. C'est d'ailleurs assez touchant de la voir observer chaque objet avec détail avant d'en parler.
Puis les casteurs rebondissent sur des mots qu'elle laisse échapper. Emilie va alors justifier la place de chaque objet dans son sac, et y associer un souvenir. Un sujet amène à un autre et on se rend compte qu'elle pourrait passer des heures à parler juste du contenu de son sac.


Mais ce que l'on prend pour de la redécouverte est en fait une véritable découverte pour elle. On se rend compte qu'elle a parlé pendant 20 minutes d'objets qui ne lui appartenaient pas, elle a réussit à se les approprier et à nous duper en se créant une histoire.

Cette fin est extrêmement plaisante, ce twist était clairement inattendu ce qui le rend d'autant plus beau !!!!

On remet alors tout en cause, tout comme les casteurs, nous sommes manipulés par Emilie. Avec son sourire angélique et ses yeux doux on lui donnerait le bon dieu sans confessions. Mais quand on apprend que pendant tout ce temps il s'agissait du sac de quelqu'un d'autre, nous sommes partagés entre la déception et l'admiration.
La déception car on lui faisait confiance et on croyait en sa bonté absolue, le fait qu'elle ait pu nous berner nous rend fou. On s'était attaché à un personnage qui n'est qu'illusions. C'est extrêmement frustrant car dès les 6 premières minutes on se dit : "Ah c'est bon ! Je vois quel genre de personne c'est : elle est humaine, sensible, romantique, passionnée, sincère, naïve. Elle doit sûrement se faire avoir par sa crédulité !"
Et puis le générique de fin défile et on réalise que toutes les constructions mentales qu'on s'était faites sont fausses.
D'un autre coté, je l'admire car elle a su parler pendant 20 minutes d'objets qui n'étaient pas les siens, elle a su leur inventer une histoire et les animer d'une passion. Et quelque part, cela révèle encore plus sa personnalité. Chacun aura sa manière de réaliser cet exercice de "mise à nu", son choix à elle, c'est de ne pas se dévoiler. Au contraire elle préfère improviser et montrer une personnalité que ses recruteurs attendent. En fait c'est exactement ce qu'on attend d'une bonne comédienne : nous faire oublier qu'elle joue un rôle.
En tant que casteur je dévale les rues pour la retrouver et lui dire que le rôle est sien.


C'est assez fou qu'en seulement 20 minutes le réalisateur nous fasse passer autant de messages.
On a le temps de s'attacher à Emilie, d'avoir l'impression de la connaître et finalement d'être surpris par la personne qu'elle est. Mais peut-on continuer à l'aimer une fois qu'on sait que tout cela n'était que supercherie ? Certains diront que non car elle a mis un masque, et que finalement on n'en sait pas plus sur elle. Moi je l'aime encore plus car elle a su jouer avec nous et nous donne envie de la revoir.


Le plan utilisé est très intéressant, on sent une forte proximité avec l'actrice. Les autres acteurs sont visibles au début et à la fin mais pendant les 95 % du temps, la caméra reste figée sur l'actrice.
On ne voit qu'elle, cela donne l'impression que le mur écran/acteur se brise.
On est complètement plongé dans le rôle des casteurs et on prend un malin plaisir à savoir si on la garderait pour le rôle ou non. On pense être maitre tout au long du film, mais elle nous tient par le bout du nez et nous montre que les personnes réellement mises à nues : ce sont les casteurs. Par le choix de leur épreuve, par les questions qu'ils lui posent et ce par quoi ils sont retenus nous montre certains traits de leur personnalité. Ce n'est pas elle qui est observée, en réalité c'est elle qui observe ses recruteurs et qui adapte son jeu en fonction de ce qu'ils veulent d'elle.


En bref : une mise en abîme très captivante qu'il faut partager avec ses proches :)

InsAmrani
8
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Créée

le 9 mars 2021

Critique lue 91 fois

2 j'aime

InèsAmrani

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