Pas de guerre entre les peuples ! Pas de paix entre les classes !


(Attention, ceci est un commentaire qui spoil tout.)



Le film met en scène une grève fictive, dans une usine fictive, mais tout est fortement réaliste (le scénario et les dialogues, comme la réalisation façon documentaire filmé caméra à l'épaule) et fait écho à de nombreuses luttes réelles.


Il est donc question de la lutte des ouvriers et ouvrières de l'usine Perrin à Agen, contre la fermeture de celle-ci. Deux ans plus tôt, suite à un accord passé entre les organisations syndicales et la direction, les salarié.es de l'usine s'engageaient à passer de 35h et 40h de travail par semaine sans augmentation de salaire et à renoncer à leurs primes, en échange de quoi la direction s'engageait à ne pas fermer l'usine dans les 5 ans à venir. Seulement, au bout de 2 ans, la fermeture de l'usine est annoncée. Les salarié.es se mettent donc en grève. Laurent Amédéo, délégué syndical CGT et personnage central du film, est un des principaux animateurs de cette grève.


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De nombreux sujets sont abordés :


Le film choisi de se focaliser sur les négociations. Les salarié.es tentent d'abord de joindre la direction nationale de leur entreprise, qui reste sourde, invoquant la rentabilité insuffisante face à la concurrence. Ils et elles se tournent alors vers l'État, participent à plusieurs réunions avec un conseiller économique de l'Élysée, duquel ils et elles n'obtiennent que de belles paroles (sans doute utiles à la propagande électorale). Leur dernier recourt est donc d'essayer de provoquer une rencontre avec le PDG allemand du groupe et de présenter un repreneur.


En revanche la question des liens entre animateurs et animatrices les plus actives de la lutte et les autres salarié.es, la question de la construction de la mobilisation, et du vécu individuel de la grève est assez peu évoquée.


Au fil des dialogues avec les différents interlocuteurs, s'opposent les intérêts de la vie des travailleuses et travailleurs, à ceux des profits du patronat et des dividendes des actionnaires. Ambiance lutte de classes.


On y voit un beau moment de solidarité au cours d'une grève et d'un blocage de la deuxième usine française du groupe avec les salarié.es de celle-ci.


On y voit aussi les trahisons du syndicat réformiste de l'entreprise (le SIPI, Syndicat Indépendant de Perrin Industrie), qui reprend les négociations avec la direction en cachette au sujet du montant des primes de départ, et qui finit par casser la grève et reprendre le travail.


Enfin le film montre également le traitement médiatique du mouvement (qui occulte certains enjeux de ce mouvement et n'hésite pas à faire passer les travailleuses et travailleurs en lutte pour des voyous), et l'impact de celui-ci dans le rapport de force et dans les choix des grévistes.


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Mais un aspect très intéressant du film selon moi reste la réflexion qu'il soulève sur la question de la violence :


Au cours des échanges avec ses interlocuteurs, Laurent évoque la violence qui accompagne habituellement les fermetures d'usines et les licenciements collectifs (familles brisées ; personnes qui ne retrouveront jamais de travail à cause de leur âge et de l'absence d'emplois dans la région ; personnes qui, à terme, se retrouveront dans la galère pour nourrir leurs enfants ; économie locale plombée … sans parler des dépressions et suicides …).


Malgré cela, la grande majorité des salarié.es tiennent à ce que leur lutte reste pacifique. Tout au long de la lutte, Laurent est d'ailleurs le premier à calmer le jeu lorsque d'autres salarié.es provoquent des membres de la direction ou des flics, il est le premier à s'interposer en cas de début de bagarre …


En revanche dans le camp d'en face on hésite pas à utiliser la violence pour réprimer les actions des salarié.es. Ainsi, lorsque les salarié.es occupent pacifiquement des locaux du MEDEF, ils et elles se font charger par des flics pour les mettre dehors ; lorsque des salarié.es bloquent la grille d'entrée de l'usine pacifiquement en faisant une chaîne humaine, on voit de nouveau des flics les déloger violemment avant d'attaquer la chaîne cadenassée qui bloque la grille à la disqueuse ...


Pas étonnant qu'en réaction à cette répression violente, accompagnée de la fatigue de longs mois de lutte, à la sortie d'une séance de négociation durant laquelle la direction fut particulièrement méprisante, une poignée de salarié.es se retrouvent à bousculer le PDG du groupe, protégé par ses gardes du corps jusqu'à son retour dans son véhicule, avant de retourner celui-ci sur le toit.
Cette unique action violente de la part de quelques ouvriers et ouvrières suffira à justifier la fin de toute négociation et d'entériner de manière définitive la fermeture de l'usine.


Enfin, alors que tout espoir de sauver l'usine a disparu pour les salarié.es, Laurent (qui doit subir en plus de l'échec de la grève et de la violence de la fermeture de l'usine à venir, un harcèlement jusqu'à son domicile de la part d'autres salarié.es que le syndicat réformiste a remonté contre lui), choisit de s’immoler devant le siège du groupe en Allemagne. Son acte est évidemment médiatisé et choque jusque la direction de l'entreprise qui annonce la reprise du dialogue avec le personnel. Bien sûr, l'acte de Laurent choque parce qu'il a choisi de mettre fin à ses jours de manière symbolique, devant le siège du groupe. S'il avait choisi de le faire ailleurs, plus discrètement (comme c'est régulièrement le cas pour bon nombre de salarié.es victimes de licenciements collectifs), personne n'en aurait parlé, cela n'aurait choqué personne.

Cradex
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le 7 juin 2019

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