Ce film a été un choc pour moi. Le genre de chocs que j’ai ressenti devant « Bloody sunday », « Vol 93 », « thirteen », le genre d’œuvres dont tu ressors moralement épuisé et la larme à l’œil.
Après « La loi du marché » du même Stéphane Brizé trois ans plus tôt, Vincent Lindon est de nouveau entouré de comédiens non-professionnels jouant peu ou prou leurs propres rôles à l’écran.
Et une nouvelle mise en scène documentaire. Au contraire de « La loi du marché » où Lindon se taisait, là, il gueule presque tout le temps.
Qu’est ce que ça raconte « En guerre » ? L’entreprise Perrin à Agin va fermer : 1100 personnes au chômage, mais Laurent Amédéo, leader syndicaliste et les employés ne comptent pas se laisser faire. Les séquences pré-génériques nous montrent un reportage de la chaîne Bfm tv qui nous expose la situation, puis une manifestation pour protester contre la fermeture, la première séquence est plein de paroles de différents personnages, la seconde est silencieuse seulement bercée par la musique de Bertrand Blessing qui colle très bien. Sa musique rythmée colle parfaitement aux scènes sur lesquelles elle est : c’est l’une des qualités, en plus de la chanson à la toute fin et dans le générique de fin. Le générique du début est très court : le titre du film pendant quelques secondes et c’est tout. Après on assiste à une réunion entre syndicalistes et les patrons qui tourne mal.
Amédéo soutenu fidèlement par Mélanie (on comprendra vers la fin qu’ils ont visiblement une relation amoureuse mais rien d’explicite ne sera montré) : une des rares qui ne le lâchera pas.
Ce qu’il rappelle : c’est que deux ans avant, l’entreprise avait signé un contrat d’au moins cinq ans, hors il reste trois ans. Les supérieurs évoquent le fait que même si l’entreprise fait des bénéfices, le marché est contre elle.
« En guerre » montre une série de séquences de dialogues de sourds, entrecoupés de divers reportages télé (outre Bfm, il y a France 2 et France 3), avec des volontés des syndicalistes de demander à rencontrer le pdg du groupe Dimke dont l’entreprise Perrin est une des succursales en Europe. Mais ce dernier n’a pas vraiment envie de les recevoir : comme le montre cette longue scène où Amédéo et son équipe ainsi que des salariés se pointent de force à Dimke, exigeant de voir le patron : la secrétaire fait le job mais ce sera au bout de vingt minutes : les crs qui les encadreront avant deux de ses souffifres affirmant qu’il n’est pas là.
Puisque rien avance, les syndicalistes veulent toujours aller plus loin. Contrairement à « La loi du marché », « En guerre » nous épargne pratiquement toute vie privée du perso incarné par Lindon : ainsi sait-on qu’il a divorcé, qu’il est bientôt grand-père. C’est vraiment concentré sur son action.
Et les jours d’action s’accumulent : rapidement, on arrive à deux mois d’action sans que rien ai bougé : et les dialogues entre les différents partis sont toujours à bâtons rompus.


« En guerre » devient de plus en plus sombre et les longues scènes de dialogues, parfois ponctués d’insultes et de violences physiques.


« En guerre » contient peu d’imperfections honnêtement, tant l’ensemble est cohérent, raccordé, filmé le plus souvent caméra à l’épaule, l’image partant à moment dans tous les sens, ce que j’aime beaucoup et me rappelant le style de Paul Greengrass surtout dans « Bloody sunday » auquel « En guerre » fait incontestablement penser. Les dialogues, à aucun moment, ne sont niants-niants, ils sont ciselés, il y a peut être une ou deux scènes où, comme celle où le cadre tente de jouer au médiateurs entre les syndicalistes se fait prendre partie par une employée qui exige qu’il dise combien il gagne. Comme chez Altman, les personnages sont multiples, les dialogues se superposent parfois et Brizé se permet parfois, comme une signature, de laisser parler un personnage, par exemple au téléphone, puis progressivement on entend plus ce qu’il dit et la musique en fond augmente : car en fait, nous n’avons pas besoin d’entendre totalement ce qui est dit puisque nous comprenons la scène.
J’ai senti la puissance de ce long-métrage vers la fin, je me suis dis : « Là, avec tout la force des séquences depuis plus d’une heure quarante, il y a quelque chose. », il y a ce truc qui fait qu’« En guerre », c’est un très grand film. C’est une œuvre qui a quelque chose en plus, par exemple que « La loi du marché ». Une œuvre qui bouleverse dont la fin


(le suicide d’Amédéo – et c’est la seule fois pour le moment où j’ai vu Vincent Lindon mourir à l’écran)


est extrêmement brutale mais qui ne fait que confirmer, en puissance dix d’accord, toute la force de la presque totalité des séquences précédentes. « En guerre » est d’une véracité inouïe : il y a bien sur un récit, avec un début, un milieu et une fin. Cela raconte quelque chose mais quelque chose, d’hélas, terriblement ordinaire.
Brizé se place clairement du point de vue des syndicalistes et ouvriers virés, mais se positionne aussi parfois sur les bureaucrates qui tentent de faire comprendre aux premiers la réalité du marché et c’est à ces moments là, que l’on ne se demande pas si les actions de syndicalistes ne sont pas excessives. En y réfléchissant, il est compliqué de se mettre totalement du côté des syndicalistes mais il faut aussi reconnaître la mauvaise volonté crasse des personnes placées en haut de l’échelon.
En fait, personne est parfait, il y a des méchants dans l’histoire mais les bons vont aussi trop loin parfois. « En guerre » est une œuvre qui échappe presque au manichéisme. C’est une œuvre extrêmement forte et totalement juste. Marquante, vraiment Marquante.

Créée

le 6 août 2021

Critique lue 55 fois

Derrick528

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