Douze hommes et femmes en colère

En route pour le milliard sonne comme un titre de jeu télévisé. Il est à peu près tout le contraire. Le film documentaire de Dieudo Hamadi est le récit d'une quête collective obstinée, à la fois physique et symbolique, à travers les méandres du fleuve et du pays Congo. Un groupe de rescapés de la Guerre des six jours de Kisangani (2000) exige le versement de leur indemnisation, gelée depuis deux décennies. « Nous réclamons l'argent de notre sang », chantent les mutilés dès l'incipit.

Le président de l'association des victimes désigne douze apôtres, handicapés comme lui, pour l'accompagner à Kinshasa réclamer leur dû. La troupe claudiquante embarque sur l'une des barges géantes qui descendent vers la capitale, affrontant le soleil poisseux du Congo et ses terribles orages avec de maigres bâches tendues à la hâte, pendant 1700 kilomètres. Sur le radeau, les engueulades fusent, les prothèses en bois se gonflent d'eau, meurtrissent les articulations, la bande « mange de la merde », écrasée entre les sacs de vivres, les béquilles et les passagers indélicats.

Arrivés à Kinshasa, sans surprise, les requérants trouveront porte close partout, se fracassant contre des institutions méprisantes protégées par des policiers obtus. La vie n'est pas un jeu télévisé. Le film ne dit rien de la guerre elle-même (celle des Six jours fut menée par les troupes rwandaises et ougandaises qui s'affrontaient pour le contrôle des richesses naturelles du Congo, faisant au moins 1200 morts civils et 3000 blessés graves, selon Amnesty International), ni du droit (la Cour internationale de justice a condamné en 2005 l’Ouganda à réparer le préjudice commis en RDC) ni même de la politique (la fin se déroule au moment de l'élection de l'opposant Félix Tshisekedi, célébrée comme une alternance historique). Il montre simplement une lutte désespérée contre l'invisibilisation des victimes, contre l'amnésie collective d'un peuple. Les estropiés de Kisangani n'ayant que leurs corps infirmes exhibés, leurs hurlements parfois, à opposer à l'oubli.

Hamadi, lui-même né à Kisangani en 1984 et qui l'a fui pendant la Guerre des six jours, les filme de très près, collé-serré, sans condescendance ni misérabilisme – le piège le plus évident d'un tel sujet. En route pour le milliard est dénué de référence religieuse explicite, mais la lente et dérisoire procession des Douze dans les ruelles boueuses de la ville, leur persévérance, leur souffrance stoïque, composent un tableau profondément biblique. Les victimes, cette fois, sont loin d'être des héros, ils ne gagnent pas à la fin – surtout pas – mais ils résistent. A l'effacement, aux puissants, au déluge, à leurs familles parfois, et jusqu'à leurs propres corps défaillants. Leur dignité réside moins dans cette indemnité tant attendue que dans cette lutte permanente.