Le premier plan d'Enquête sur un scandale d'État est une promesse trompeuse. Dimensions carcérales du 1:33, surcadrages en pagaille, ambiance moite et tendue comme un épisode de Miami Vice : tout laisse à croire que le troisième film de Thierry de Peretti s'embarque sur les rives brumeuses du polar paranoïaque et mélancolique, sous haute influence de Michael Mann et du cinéma italien. Si le reste du film, relatant l'investigation d'un journaliste de Libération autour de la figure ambiguë de Hubert Antoine (trafiquant de drogue infiltré au compte de l'État français), ne s'inscrit jamais dans cet horizon, c'est que De Peretti refuse en premier lieu la dimension manipulatrice propre au genre, au profit d'une recomposition volontairement fragmentée et déceptive de l'enquête. C'est là une matière de griefs : enchaînant les séquences organisées autour des joutes verbales incessantes entre les personnages (dont l'acmé sera, comme par hasard, une scène de procès) et du storytelling galopant de Hubert, le film peine à produire un tout organique, tant la logique performative du tournage (enregistrer jusqu'à 50 min continue par prise) n'est jamais retranscrite par un montage trop tourné du côté de la progression narrative.
Paradoxalement, c'est davantage la relation tissée entre Hubert (Roschdy Zem) et Stéphane (Pio Marmaï) qui occupe l'essentiel du film, plutôt que la progression du récit, indice par indice. C'est peut-être déjà ce que raconte la première scène : Hubert y apparaît comme le pivot de la mise en scène, point de gravité déclenchant, par ses mouvements, décadrages et panoramiques. De manière générale, les acteurs constituent chez Peretti (qui vient du théâtre) le point de focalisation de chaque plan, tandis que les mouvements de caméra s'attachent à dessiner, en contrepartie, une toile invisible d'influences réciproques. Les panoramiques et les plan-séquences deviennent dès lors la matérialisation d'un inframonde imperceptible, autant constitué de réseaux affectifs (cf. la scène de fête inaugurale, où chaque figurant constitue un atome dans le grand Tout du plan) que de flux économiques, matériels ou technologiques. À cet endroit, le film a le mérite de tenter de renouveler, sans tout à fait y parvenir, les obsessions du cinéma politique français, par une plongée, pieds et poings liés, dans la marée noire d'un monde opaque et incertain. C'est déjà ça.