Le jeune acteur Stephen Fung est rarement apprécié des fans du cinéma de Hong Kong de la période 85-95 (la seule qui semble intéresser une majorité d'amateurs). Il est vrai que figurer dans les premiers rôles de films comme The Avenging Fist ou Gen Y Cops n'est pas de nature à attirer la sympathie. Pourtant, Fung a quelques crédits corrects, du polar pré rétrocession The Log au drame Metade Fumaca, capables de compenser la poignée de navets dans lesquelles il a eu à se commettre.
En 2001, l'acteur se lance dans la réalisation en compagnie de Nicholas Tse pour un Heroes in Love aux intéressantes ambitions artistiques. Il faudra cependant attendre 3 ans pour que Fung se remettre à la mise en scène. Enter the Phoenix est son œuvre de A à Z, le jeune homme occupant les postes à la fois de réalisateur, de scénariste et d'acteur.

Débutant comme un film de triades classique, le long métrage de Fung ne tarde pas à dévoiler sa vraie nature de comédie dés son générique à la fois coloré et imaginatif.
Le concept est simple, il ne s'agit rien de plus qu'une classique affaire de successions dans une triade avec interversion d'identité concernant l'héritier légitime. Gordon Chan avait déjà eu à travailler sur une telle base et s'était cassé les dents, commettant le nanardisant Gameboy Kids. Fung ajoute cependant un ingrédient de son cru à cette formule, et un ingrédient pour le moins surprenant, puisqu'il s'agit d'un quiproquo gay !
L'humour Hong Kongais à base d'homosexualité est peu connu pour son raffinement. Et si quelqu'un comme Wong Jing avait été aux commandes d'un tel projet, il ne fait aucun doute que la vulgarité aurait été au rendez-vous. En l'état, Enter the Phoenix n'évite pas complètement les pièges de la caricature mais, dans l'ensemble, les gags basés sur l'orientation sexuelle de nos deux « héros » marchent plutôt bien.
Une bonne part de crédit revient à Fung lui-même qui choisit de traiter son histoire avec le plus grand des sérieux. Wong Jing ne se serait probablement servi du concept de départ que comme une excuse pour accumuler les blagues contre les homosexuels sans se préoccuper de l'évolution de l'intrigue et des personnages. Mais Fung, lui, croit en son scénario et cherche à lui faire autant justice que possible. Une attitude louable qui profite au film dans son ensemble. Et tout en privilégiant la comédie, le jeune metteur en scène gère habilement les touches de romance, de drame et d'action (des chorégraphies câblés et inventives seulement trahies par un manque de force et de rythme) contenues dans son script, parvenant à faire progresser son histoire de manière fluide et logique. Les différentes sous intrigues s'intègrent habilement à la ligne narratrice principale pour un résultat aussi plaisant que rythmé. Sa réalisation ambitieuse et plutôt bien maîtrisée pour une première expérience s'avère parfaitement adaptée. A l'image du film, elle jongle entre sérieux respectueux (l'arrivée des triades à l'enterrement au ralenti qui ne dépareillerait pas dans un John Woo) et contrepoints comiques décalés (gros plans sur les visages bien délirants des acteurs).

Le traitement sérieux de l'intrigue se retrouve également dans celui accordé aux personnages. Il y a un réel travail de caractérisation, d'authentiques tentatives d'humanisations aussi bien en ce qui concerne les personnages fondamentalement sérieux (Georgies et la relation avec son père, Chow et son légitime désir de vengeance) que ceux plus comiques (Master 8 qui pleure la supposée mort de son fils, Sam à l'amitié fidèle). De manière générale, on sent que Fung a un vrai respect pour eux et, en premier lieu, pour Georgie, homosexuel montré comme quelqu'un de normal, talentueux même, surtout par rapport aux étranges personnalités qu'il est amené à fréquenter suite à la mort de son père. Une bonne part de l'humour ne vient donc pas de son comportement de « chochotte » extravagant (ressort comique classique du cinéma de HK mettant en scène des homosexuels) mais des stéréotypes et autres clichés que le milieu entretient envers les gays. Approche plus fine et agréable que celle tendance « Cage aux Folles » qui a régné dans la comédie gay made in HK pendant longtemps.
Le casting intelligent soutient bien le travail soigné qui a été apporté à l'élaboration des personnages. Daniel Wu, sérieux et élégant, a le bon goût de ne pas en faire des tonnes dans son interprétation de Georgie, en accord avec le caractère stable du personnage. En face, c'est à la « triade » Eason Chan/Chapman To/Law Kar Ying qu'il revient de jouer la carte du délire et de l'humour assumé. Etant donné que le premier est le plus doué dans la comédie parmi les jeunes acteurs dans le vent, que le second n'est jamais meilleur que quand il joue les gentils idiots et que le troisième est un as dans l'art de la dérision, leurs prestations sont logiquement hilarantes (Kar Ying qui apprend l'anglais à coups d'insultes annonées ultra sérieusement est un délice). A cela, Karen Mok ajoute une petite touche de charme et de peps tout ce qu'il y a d'agréable. Seul le réalisateur lui-même montre quelques faiblesses. Son interprétation est dans le ton du film mais son look trop jeune minet nuit à la crédibilité de sa performance, tout comme son recours à de trop fréquentes poses. Saluons enfin la présence des vétérans Yuen Biao (certes difficilement crédible en chef de triades) et Michael Chan au générique, toujours un plaisir à voir dans une grosse production.

Plein de qualités, Enter the Phoenix se révèle une très agréable surprise au sein du paysage cinématographique Hong Kongais moderne. Fung prouvera d'ailleurs avec House of Fury que cette sympathique réussite n'est pas un simple coup de chance mais bien les premiers pas d'un nouveau petit talent à suivre.
Palplathune
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le 12 janv. 2011

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