Je me demande parfois si certains cinéastes sont humains. C’est vrai, des réalisateurs détiennent cette ADN qui est composé de pellicules, images et sons. Parce qu’en 2h20 de métrage, on ne voit pas le temps passer, happés par cette intrigue passionnante qui embarque un PDG d’une Entreprise de chaussures (Toshiro Mifune immense/Gondo) dans une affaire de kidnapping. L’enjeu étant de savoir si Gondo doit faire péricliter sa vie en payant la somme exigée de 30 millions de yens pour libérer un enfant qui n’est pas le sien, ou de plutôt les investir dans sa société afin de détenir l’actionnariat majoritaire.
Akira Kurosawa use de l’occasion pour converser sur le thème de l’ascenseur social et des différences de classes. Toshiro Mifune est constamment à deux doigts de contempler la ville du haut de son immeuble au risque de l’humecter de l’intérieur. D’où l’origine supposée du titre : dois-je privilégier la voie du ciel en misant mon argent durement gagné dans un fonds qui marche ou plutôt, favoriser les enfers dans lesquels je me précipite si je décide de payer la rançon ? Ce dilemme, l’entre-deux mondes est parfaitement rendu dans le film. Le cinéaste profitant également de l’intrigue pour tirer à boulets rouges sur l’égoïsme, la froideur du milieu des hommes d’affaires et le désintéressement pour les petites gens… Mais pas trop. En fait, ce qui est enthousiasmant, c’est que le film est nuancé. Finalement, on hésite à favoriser un versant idéologique plutôt qu’un autre. Le cinéaste livre une matière à débats, à nous de trancher en fonction de notre personnalité.
Matière thématique à part, « Entre le Ciel et l’Enfer » pourrait parfaitement concourir au titre du meilleur film du maître. Implacable film Noir qui déverse notre exigence que l’on attend devant pareil polar (enquête policière remarquable, tension permanente, focale sur les détails les plus fins qui peuvent intercepter le coupable, fétichisme de la trace médiatique). Un théâtre ciselé qui passe d’une première heure en huis-clos dans les locaux luxueux des puissants pour ensuite se concentrer dans le monde de « tous les jours » avec cette ambiance Jazzy, cette effervescence dans les petits quartiers et l’atmosphère glauque des laissés pour comptes (drogués, trafiquants, etc.) La réalisation écarquille les yeux avec une photographie belle à en pleurer (notamment les séquences d’espionnage dans les rues et lieux publics, chaque plan donnerait envie de hurler de joie) et le rythme ne faiblit pour ainsi dire jamais. On en veut plus. 2h20 c’est trop court…
Toshiro Mifune est impérial, mais n’oublions pas les partitions exemplaires du magnifique Tatsuya Nakadai en officier de police qui telle une fouine, est à l’affût des moindres pistes, gorgé d’expériences et de tact. Kyoko Kagawa joue une femme parfaite qui vient seconder son mari dans cette douloureuse épreuve.
Bref, un film époustouflant qui ne nous donne pas le temps de souffler. Je le répète, chaque moment est un régal intellectuellement et visuellement parlant. Datant de 1963, ce film met à l’aise la majorité des thrillers policiers à l’amande. Sacrée claque.