En professionnel de la haute couture qu’il est, on aurait cru voir venir de la part de Tom Ford, une pièce visuelle à fort taux maniéré. Il n’en est rien et heureusement.
Colin Firth endosse le rôle de George Falconer, enseignant de littérature dans une Université californienne. Tous les matins, il prend son temps à vêtir son costume impeccable « so british » pour s’intégrer harmonieusement à son cadre professionnel. Si son aspect extérieur est irréprochable, ses lunettes aux bords gras cachent un mental dévasté par la perte de son amour qu’est « Jim ». L’avenir devient incertain, les journées baignent désormais dans une nébuleuse de doutes existentiels,…
Dès les premiers plans vénéneux et la musique envoûtante, A Single Man vous cueille telle une magnifique fleur détenue par une main gracieuse. Tom Ford va continuellement organiser son récit par des pointes troubles et organiques, une suspension du temps où le deuil encapsule une journée ordinaire entre des tenailles angoissantes. Par de légers flashs mémoriels, des abstractions visuelles et beaux voyages temporels qui explorent à l’envers les fils de la relation amoureuse, notre cinéaste talentueux donne forme à une lente reconstruction personnelle et sentimentale. Au-delà de la sphère homosexuelle qui flotte à sa surface, l’oeuvre fait bien d’éviter les lieux communs pour embrasser l’universalité, celle de la perte de l’être cher qui vous gangrène, bouleverse vos certitudes jusqu’à envisager en ultime recours la solution finale.
L’auteur joue avec l’imagerie superficielle de la mode et du cinéma (cfr. les questionnements philosophiques sur la réalité, le réceptacle humain, le champ des apparences – hommage rendu à Psychose) pour démontrer que ce sont les hommes qui bâtissent un rêve, tout du moins une industrie. Sauf que personne n’est à l’abri d’un accident brutal.
De la réalisation globale en passant par la puissance narrative et l’interprétation bouleversante de Colin Firth, Julianne Moore et Nicholas Hoult, tous bâtissent un poème sensoriel d’une portée déchirante. En visionnant le film, j’ai beaucoup pensé à Terrence Malick sur la manière d’enchâsser et installer de larges réverbérations à une réalisation somme toute classique. Car la physionomie du film est l’incarnation même du désastre mental que vit George : une photographie classieuse et somptueuse qui, paradoxalement, ouvre largement les plaies ensanglantées d’une âme blessée. Un caractère bicéphale conférant à A Single Man des vertus enivrantes.
Une grande surprise. Je veux bien filer des dizaines de caméras à des couturiers.