Entre le ciel et l’enfer est une œuvre aux multiples visages. Derrière le récit d’une simple enquête policière, Akira Kurosawa fructifie son récit par sa facilité à se jouer des codes pour y intégrer des thématiques beaucoup plus denses. Passant du polar à la critique sociale d’une société accablée par ses valeurs et un code d’honneur intransigeant, Akira Kurosawa signe là un long métrage qui navigue entre clair-obscur, entre simple film d’enquête et quête existentielle où la morale sera mise en danger. Gondo, homme d’affaire travaillant dans le monde de la chaussure, voit son fils se faire kidnapper pendant qu’il fignole une affaire juteuse.
Pourtant, il se rendra vite compte que ce n’est pas son fils qui sera enlevé mais le fils d’un petit chauffeur. La maison de Gondo, au sommet de cette colline parait « arrogante », elle regarde la ville de haut. Quelqu’un en veut à sa réussite et à son argent. Elle est climatisée, loin de la chaleur et de toute la souffrance ambiante du Sud, où le dur labeur fait foi, une société presque souterraine presque happée par la misère, un monde presque fait de zombie qui déambule les yeux écarquillés sur un univers qu’ils ne perçoivent plus ou en dansant après une dure journée de travail. Une bataille entre le « nord » et le « sud », les gens d’en haut et les gens d’en bas, la richesse et la pauvreté, la vie paisible et le commun des mortels. Clivage extrêmement bien montré par Akira Kurosawa avec une finesse du trait qui incite le respect.
De ce fait, Entre le ciel et l’enfer manie l’écriture policière avec un suspense aiguisé et une excellente caractérisation des personnages où les enjeux sociaux et moraux seront au centre d’une intrigue parcellaire qui comportera de nombreux mystères et des ruptures de ton bienvenues. Pendant ce temps-là, Akira Kurosawa allie habilement forme et fond faisant de son œuvre, un écrin esthétique de toute beauté au montage ciselé à la perfection. Avec sa mise en scène minutieuse, le réalisateur arrive parfaitement à chorégraphier ses scènes de groupe en ayant une réelle rigueur dans la captation de l’espace à l’image de cette longue mais intense séquence dans un bouge infâme où l’on y verra toute la misère qui explosera devant nos yeux.
La première partie du film se passera presque exclusivement dans la pièce principale de la maison de Gondo et de sa famille. Chaque personnage a sa place, un positionnement bien précis, une gesticulation intrinsèque accentuée par le montage du film. Entre le ciel et l’enfer est également une sublime topographie d’une société japonaise dissoute par son ambivalence, sa mentalité du travail jusqu’au boutiste qui peut mener ses citoyens à leur perte (l’adjoint de Gondo qui lui assènera un couteau dans le dos), une hiérarchisation sociale entre les hommes (le chauffeur se sentant redevable et inférieur à Gondo), des apparences trompeuses où les civilités se trouveront là où elles ne semblent pas poindre le bout de leur nez