La vie d'une classe, d'un prof, durant une année dans un lycée.
Il y a des choix de déterminants plus forts que d'autres : ici choisir l'indétermination du "un" face au "le" s'est fait de manière totalement volontaire. C'est UNE classe. D'ailleurs contrairement aux différentes réactions plus ou moins épidermiques que j'ai pu percevoir ci et là j'ai le sentiment prégnant que cette classe est volontairement moyenne : des blancs majoritaires, quelques jeunes issus de l'immigration quelle qu'elle soit, un niveau moyen comme le souligne une mère d'élève. C'est la représentation d'une classe meilleure que d'autres, moins bonnes que certaines.
Un peu comme si c'était une classe générique en fait, une représentation un peu floue (on ne voit pas tout le monde), un peu comme si on avait une application de l'allégorie de la caverne de Platon.
Qu'est ce donc que l'allégorie de la caverne ? Pour Platon, une bonne manière d'expliquer le monde est d'imaginer les gens attachés au fond d'une caverne, le visage tourné vers le mur du fond, tandis que les vrais objets sont à l'entrée, éclairés par un feu qui projette des ombres sur le fond de la caverne.
L'image qu'on a d'une chaise est donc une chaise générique dont on ne voit que des contours flous.
Ça c'est la première partie de ce qu'il faut comprendre.
La deuxième partie c'est que si on brise ses chaines et qu'on va vers la lumière on va se piquer les yeux et qu'on va avoir envie de retourner à sa place : découvrir est un effort, une rupture désagréable des habitudes...mais qui sera récompensée par une vision plus précise et lumineuse de la vérité.
La dernière partie de la métaphore c'est que si on fait l'effort de revenir en arrière après cela pour enseigner aux autres, ceux ci s'opposeront tout d'abord à nous...préférant l'oisiveté à la connaissance.
Pourquoi je vous emmerde avec ça ? Parce que tout ça se trouve dans La République de Platon, c'est même le fondement du bouquin. Vous savez ce livre qui n'est pas un "bouquin de pétasse" comme le dit Esméralda à la fin du film.
Et c'est là où est la clé : de quoi parle Entre les murs ? Du fait qu'il est difficile d'enseigner, que ça l'a toujours été, que toutes les bonnes volonté du monde s'opposeront toujours à la passivité, qu'il faut trouver comment intéresser un public rétif à des enseignements dont l'utilité ne se fait pas toujours évidente. Ce qui fait d'Entre les murs à la fois un constat documentaire mais aussi et avant tout une histoire. L'histoire d'une classe, avec tout ce que ça implique de tragédies, de moments de comédie, d'évènements, de rebondissements, de personnages, souvent archétypaux mais qui se définissent ainsi eux-mêmes.
D'ailleurs l'emploi du terme documentaire est en fait une erreur à ne pas faire : Entre les murs est une fiction. Un film questionnant le réel, cela on ne peut en douter, mais c'est bien face à une fausse réalité que nous sommes et qu'il faut juger en tant que tel. Je pense à ce propos que la scène où l'enseignant emmène un de ses élèves chez le proviseur, laissant sa classe sans surveillance (ce qui tiens plus du fantastique qu'autre chose, tout prof vous le dira) est d'ailleurs là en guise de piqure de rappel pour le corps enseignant spectateur du film : c'est une fiction, ne cherchez pas à y trouver un manuel de ce qu'il faut faire ou pas.
Mais en tant que constat, en tant que miroir du réel le film est cependant particulièrement pertinent, renvoyant l'image de la société française telle qu'elle est, Cantet poursuivant ainsi son portrait social et humain entamé dans ses précédents films (en tout cas pour les deux que j'ai eu le bonheur de voir : Ressources humaines et l'Emploi du temps).
Entre les murs dans ce portrait d'une classe, dans ce questionnement de l'enseignement, dans cette fiction passionnante, dans cette image de notre société est donc un film puissant, crédible, fort, qui porte sans problèmes sur ses épaules le poids de la Palme d'Or justement décerné.
Peu de films peuvent en dire autant.
C'est pas un film de pétasses/10
10/10