En 1994, Neil Jordan dégaine Entretien avec un vampire, adaptation du roman culte d'Anne Rice, et balance Tom Cruise et Brad Pitt en crocs et soie raffinée. Le film, grandiloquent et délicieusement maniéré, déploie une atmosphère gothique moite où chaque rideau semble soupirer de mélancolie. Est-ce un chef-d'œuvre du genre ou juste un bal costumé trop empesé ?
Une esthétique qui suinte le luxe et la mort
Dès les premières minutes, Entretien avec un vampire nous noie sous des flots de velours et de lumière tamisée. Neil Jordan soigne son cadre avec une obsession du baroque qui frôle parfois l'overdose. C'est superbe, certes, mais on sent parfois qu'on pourrait appuyer sur pause à n'importe quel moment et encadrer l'image dans un salon victorien sans que personne ne tique.
Et pourtant, difficile de ne pas se laisser happer par ce Paris nocturne, cette Nouvelle-Orléans moite, ces ruelles éclairées à la bougie. L’ambiance est une réussite, une plongée sensuelle et funèbre dans un monde où la mort est un art et le sang, un nectar précieux.
Tom Cruise en roue libre, Brad Pitt en mode dépressif
Il fallait un duo d’envergure pour incarner les vampires les plus stylés du cinéma. Tom Cruise, contre toute attente, est jubilatoire en Lestat, félin cruel et hédoniste, qui déguste l’immortalité comme un gourmet pervers. En face, Brad Pitt traîne sa mine de chien battu en Louis, vampire torturé qui passe deux siècles à pleurnicher sur son sort. Le duo fonctionne bien, mais avouons-le : c'est Cruise qui dévore l’écran.
Et que dire de Kirsten Dunst ? Révélation du film, elle incarne Claudia, enfant vampire au regard assassin et aux répliques plus tranchantes qu'une lame de rasoir. Elle apporte une énergie désespérée à ce film qui, par moments, se complaît un peu trop dans ses poses.
Une histoire qui patine sous les dorures
Si Entretien avec un vampire excelle dans l’ambiance, il péche par une narration qui manque parfois de nerf. On suit la confession de Louis, mais après un départ prometteur, le film s’enlise par moments dans ses monologues existentiels et ses regards perdus sur l’éternité. Oui, c'est beau, mais on aurait aimé un peu plus d'intensité dramatique, un rythme plus soutenu, une intrigue moins contemplative.
Le résultat ? Une œuvre fascinante mais parfois trop maniérée, qui oscille entre le grandiose et le pompeux. Une scène nous transporte, la suivante nous donne envie de secouer Brad Pitt pour qu'il arrête de broyer du noir. Un plaisir en demi-teinte, donc, où la mise en scène étincelle plus que l'intrigue.
Verdict : Un ballet sanglant et somptueux, mais parfois trop engoncé dans sa propre esthétique. Tom Cruise brille, Brad Pitt déprime, et l’ensemble vaut le coup d’œil, même si l’ivresse gothique finit parfois en gueule de bois.