"Des gens meurent, mais pas à l'écran"

Epidemic me laisse un sentiment de satisfaction et de mélancolie immense. Il évoque tellement de choses en montrant si peu.


D'abord c'est un film qui préfigure le Dogme 95 et on sent que Von Trier l'avait déjà un peu en tête, même s'il ne l'a jamais vraiment respecté.
C'est volontairement provocateur avec un côté branleur/amateur, mais qui dégage une grande beauté. Le film flirte sans cesse avec le documentaire un peu voyeuriste. La caméra est là sans que les acteurs n'en soient vraiment, sans qu'ils ne la regardent jamais ou presque.
Ce qui fait le génie d'Epidemic, c'est cette capacité à ne pas montrer à l'écran les choses dont il parle, en les évoquant sans en montrer l'action. On y préfère de longues scènes avec des va et vient sur les visages, avec une caméra qui filme parfois un peu dans le flou. Et les dialogues sont pour la plupart anodins, ce qui renforce justement cet aspect "documentaire".
Certaines scènes sont inutiles mais permettent de suivre simplement la vie de ces deux réalisateurs qui écrivent le scénario de leur film en quinze jours.


La part belle est faite aux idées et aux dialogues, et c'est ça qui est formidable ! Von Trier joue toujours avec ce qu'il montre, à l'instar des gros plans sur cet homme qui évoque une conversation avec sa mère et les bombardements sur Cologne pendant la guerre, ou encore ce lac filmé en pleine nuit, qu'on ne distingue même pas, mais dont on parle pour décrire une scène abominable. On se figure alors la terrible action en regardant à l'écran une scène tout à fait différente. Ne pas montrer ce qui est dit permet de se le représenter avec plus d'acuité.


Epidemic c'est aussi le récit (un peu grossier) dans le récit d'un médecin qui veut sauver le monde d'une maladie qui fait mourir les gens les uns après les autres. Lorsque les images se posent sur ce personnage, on pense directement à Tarkovski et on sent l'attrait de Von Trier pour l'indicible.


Le film est enfin une allégorie qui dresse un constat amer. Le capitalisme a gangrené le monde et la vie. Par ses industries. L'industrie du cinéma, que Von Trier méprise, le cinéma qui ne dit plus rien tant il se vautre dans la surenchère par l'action et les effets spéciaux dénués de toute émotion esthétique. De nombreuses idées sont lâchées au détour d'une conversation sans vraiment être creusées mais donnent au film un côté très brut, à peine réfléchi, du quasi cinéma d'improvisation.


La scène finale reprend tous les élements évoqués en faisant toutefois apparaitre quelque chose de nouveau. Elle renvoie à ce qui fige chez Von Trier, cette capacité à hypnotiser le spectateur devant son écran. Si l'hypnose est propre à sa trilogie Europe, la sensation d'attraction par les images et le récit ira crescendo et se fera de plus en plus puissante dans la filmographie du Danois.

Hypno5e
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 Films

Créée

le 12 août 2021

Critique lue 254 fois

3 j'aime

Hypno5e

Écrit par

Critique lue 254 fois

3

D'autres avis sur Epidemic

Epidemic
Morrinson
6

Mise en scène mise en abyme

Dans "Epidemic", Lars Von Trier et son scénariste Niels Vørsel jouent avec les limites de l'audace et de la licence artistique en se positionnant au niveau de la frontière dangereuse entre l'exercice...

le 26 févr. 2017

6 j'aime

Epidemic
Hypno5e
10

"Des gens meurent, mais pas à l'écran"

Epidemic me laisse un sentiment de satisfaction et de mélancolie immense. Il évoque tellement de choses en montrant si peu. D'abord c'est un film qui préfigure le Dogme 95 et on sent que Von Trier...

le 12 août 2021

3 j'aime

Epidemic
-MC
6

Critique de Epidemic par -MC

Tout comme avec son premier film "Element of crime", Lars von Trier nous impose un univers très difficile d'accès, on est au bord du "j'ai rien compris", c'est très original et surtout très troublant...

Par

le 17 mai 2014

3 j'aime

Du même critique

Serre moi fort
Hypno5e
8

Ame(s) errante(s)

C'est avec curiosité que je suis allé voir le film de Mathieu Amalric. Si je connais plutôt bien l'acteur, je n'avais encore vu aucun de ses films en tant que réalisateur. J'étais passé à côté, ce à...

le 13 sept. 2021

4 j'aime

Eyes Wide Shut
Hypno5e
9

Baiser

Médecin riche et honnête à qui la vie a souri de toutes ses dents sans jamais lui en montrer la crasse, Bill se drape de toutes les vertus avec facilité. Une personne formidable forçant le respect et...

le 30 nov. 2020

4 j'aime

Vortex
Hypno5e
9

La valse des adieux

"Ah.. Dieu des enfers, je perds ma belle vieillesse à vouloir expliquer quoi que ce soit aux gens. Tour à tour leur disant que rien n’est qu’un rêve ou soudain tout au contraire, que les rêves même...

le 18 avr. 2022

3 j'aime