La captivité peinte en rouge

Si l'on ne connait pas (comme c'était mon cas) le cinéma chinois des années 80-90, la fameuse "cinquième génération", il faut absolument s'y plonger tant ces films offrent une esthétique et une puissance émotionnelle rare, et peuvent réellement nous bouleverser.

Epouses et Concubines de Zhang Yi-Mou est celui qui m'a le plus marqué, et l'un de mes films favoris. Splendeur visuelle, chaque image, chaque plan est un tableau à part entière, un tableau de bleu nuit, de rouge feu, de jaune rassurant, qui parle directement à nos sens, et où l'on voudrait se perdre, s'attarder un peu. Certains plans sont d'une douceur profonde, comme celle de la rencontre entre la 4e épouse et le fils de la 1ère, d'autres d'une cruauté froide, et l'intrigue vient s'emmêler de manière fluide à cet enchevêtrement de beauté, sans jamais tomber dans la surenchère ou le pathos.

A travers cette fresque esthétique soignée, se jouent les destins de quatre épouses enfermées à tout jamais dans un jeu d'intrigues pour obtenir les faveurs de leur "mari", un mari qu'on ne voit jamais, qui incarne à lui seul l'oppression du patriarcat dans une Chine traditionnelle. Un mari qui les remplace dès qu'elles ne sont plus à son goût, comme on remplace un mouchoir usagé. La tension est permanente tout le long, les retournements de situation sont à la fois surprenants mais toujours parfaitement logiques, les comportements des unes et des autres sont compréhensibles, parfois bienveillants, parfois cruels et désespérés, toujours parfaitement humains. A l'image de cette histoire poignante, Gong Li incarne une héroïne complexe, ni docile ni idéalisée, qu'on se surprend parfois à haïr, mais qu'on comprend toujours un peu.

Réussite absolue tant sur la forme que sur le fond, Epouses et Concubines doit absolument être vu, comme porte d'entrée vers un cinéma chinois souvent oublié et pourtant d'une richesse et d'une maîtrise absolument uniques.