Appétit du matin, chagrin. Après deux gras croissants chauds, je débusque un petit film britannique au titre évocateur de Cannibal Farm, ce qui, en plus d'éveiller la voracité gore de mes curiosités intellectuelles, fait un écho certain à une nouvelle en cours d'écriture qui m'accompagne depuis longtemps. Faim de junkie et salive aux lèvres, je me jette sur le morceau, la déception est grande. S'il y a de belles pistes au scénario, quelques idées intéressantes, si la lumière est très belle à chaque séquence, si les principaux comédiens incarnent avec mesure les rôles qui leur sont dévolus, 


l'ensemble manque cruellement de fluidité pour s'écouler en rythme,



et se casse les dents là où le plaisir aurait du nous faire battre le palpitant.


Le récit suit une famille emprisonnée dans les cages d'une ferme dédiée à l'abattage de viande humaine. Outre les tensions interne de la petite cellule en proie à l'horreur soudaine, la narration développe une genèse à l'histoire sanglante de cette ferme et les secrets parallèles qui en découlent. Les points de vue se multiplient, les enjeux également. Il est dommage dès lors que l'écriture et le montage n'approfondissent jamais ceux-là : aucun personnage n'a le background nécessaire à une réelle consistance et le film devient très bancal à chacune des actions et réactions de chacun d'entre-eux. Les points de tensions restent alors éphémères et la sauce, finalement, ne prend pas. L'abondance des ingrédients de l'horreur et du suspense, plutôt que de venir sublimer la recette, pêche par excès et dénature le plat : 


sans savoir doser ni lier les éléments du scénario, la réalisation ne fait qu'emmêler les fils de son récit



sans vraiment savoir par où les éplucher. Sans savoir réellement comment les accommoder. Laissant alors un goût bien fade.


La lumière est magnifique, de bout en bout. Chaque atmosphère est minutieusement éclairée, avec soin et goût du détail. Un générique classique, une introduction campagnarde aux splendeurs de plénitude, puis bientôt la crasse et l'obscurité inhérentes au genre, tout est, pour le coup, savamment dosé. Malheureusement, jamais le cadre ne vient y poser la tension, encore moins l'attention. 


Jamais le cadre ne saisit l'importance du mouvement et de l'équilibre.



Où alors de manière ridicule, inappropriée. Une surenchère de caméra à l'épaule et de mouvements brusques, une volonté de filmer des maquillages moyens, de fuir ceux-là des effets spéciaux – pas folichons ici il faut bien le dire – que le genre réclame en laissant hors-champs la violence et le gore que justement le spectateur espère, l'image, malgré le travail des atmosphères du directeur de la photographie Michael Lloyd, n'est jamais dans l'ambiance ni dans le tempo.


Les comédiens ne sont pas mauvais, certains ont même du coffre, de la prestance ou l'impétuosité magnifique. On retrouve là le plaisir de la comédie à l'anglaise : une importance du jeu, une science de la posture et de la diction qui font l'excellence du répertoire audiovisuel britannique. Malheureusement, encore une fois, la mise en scène échoue dans la captation et dans l'utilisation de ce matériel : les grandes lignes de dialogues mystiques, aussi évocatrices soient-elles, sont rendues avec 


une retenue théâtrale, sans engagement ni direction,



et le réalisateur prouve là qu'il n'a que peu de notion de la cinégénie des confrontations. Gâchant encore la viande parce qu'il ne sait ni la découper, ni l'assaisonner, ni la saisir.


De belles idées scénaristiques, de beaux essais techniques, quelques prouesses notables de comédie, mais trop de faiblesses pour un film de genre supposé nous prendre aux tripes. Effets spéciaux foireux ou évités, scènes gore inexistantes, méli-mélo d'ingrédients sans inspiration ni structure, les trop nombreux défauts du métrage frôlent la caricature et, loin de l'indigestion,


l'objet nous laisse sur notre faim,



à ronger l'os maigre qui reste là sous les promesses non tenues de chairs sanguinolentes. Sans consistance ni saveur.

Matthieu_Marsan-Bach
4

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Créée

le 10 mai 2018

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