Accessoiriste : le prochain qui m' troue encore un Stetson, j'y pète la gueule !

#LI2

Après avoir généreusement dépensé son pognon (gagné de manière peu recommandable), et de façon plus que louable par une bonne action, Clintie est bien parti pour aller renflouer son lard'feuille dans les terres reculées de l'Ouest Sauvage et Impitoyable, seulement voilà ...
Le triomphe de l'extraterrestre "Pour une poignée de dollars", d'abord ressenti au box-office de l'époque avec une recette de près de 3 Milliards de Lires rien qu'en Italie (équivalent de 38,5 M$ actuels), et un total de plus de 11 M$ en Amérique du Nord (soit 77,9 M$ actuels) pour un budget 55 fois moindre, un réel succès en somme ; a sans nul doute galvanisé Leone et son équipe, même si les critiques (en particulier américaines) n'étaient pas au rendez-vous - pfff ... dès qu'on essaye de faire quelque chose de nouveau, alors !! -
Donc c'est reparti pour un tour, Clintie partant a signé pour le second volet des tribulations de l'Homme-sans-Nom. Il a pris de l'assurance, de la popularité (pour ne pas dire de la graine parfois) et semble une fois de plus prêt à flinguer du truand. Après plusieurs tergiversations quant à l'acteur devant endosser le rôle du compagnon/rival de notre héros aux colts nerveux, c'est finalement Lee Van Cleef, habitué des prestations de méchants dans les westerns des années 1950, qui est pressenti par Sergio Leone. Il faut dire que c'est une manne pour l'acteur qui est dans une dèche miséreuse depuis plusieurs mois déjà.
Dès le début, on sent que le ton est donné dans ce western qui, tout en se plaçant dans la veine de son prédécesseur pour ce qui est notamment de la mise en scène (les décors, accessoires, longs plans panoramiques étirés ou en contre-plongées saisissantes), développe une intrigue, une ambiance, une personnalité qui lui sont propres (beaucoup de recherche, sans cliché toutefois, sur le thème du duel au revolver, sur la rivalité de chasseurs de prime impitoyables pour ce qui est de récupérer un peu de flues, le concept de la vengeance, de la cupidité,...).
La première scène, d'emblée, qui n'a absolument rien à voir avec l'histoire poursuivie tout au long du film, montre, sous les accents musicaux d'un sifflement sec de cow-boy, un homme à cheval parcourant le désert se faire descendre, peu avant l'apparition du titre du film et du déclenchement de la musique du titre principal. Si ce tableau volontairement trompeur initié par Leone, brouille les esprits par mystère et incompréhension, il n'en permet pas moins de dévoiler le rythme du film, propre à tous les westerns "Spaghetti" où l'attente du "flingage" est forcément voulue plus longue que le coup de feu lui-même : en cela, ce genre de scènes rejoint évidemment les intrigues développés dès le Ve siècle av. J-C dans les tragédies antiques, où la fatalité l'emporte assurément avec cruauté sur l'espoir de s'en sortir vivant.
Étrangement, par rapport au premier film et dans le but certain de se renouveler, Leone préfère dans sa mise en scène présenter le second couteau (enfin second colt) de ce long-métrage en premier. Un long plan/séquence filmant un train arrivant en gare, un grand classique dans ces épopées de l'Ouest, dévoile un Van Cleef visiblement fatigué mais serein, sûr de sa mission à accomplir au plus vite, une mission qu'il ne refuserait pas pour tout l'or du monde, juste contre une poignée de billets verts. Il n'est d'ailleurs plus guère difficile de deviner sa "profession" de chasseur de primes, dès lors qu'il trucide en mode "sniper" dans l'avenue principale d'un village mexicain un truand diablement laid qui s'enfuit en toute hâte de la chambre d'hôtel dans laquelle, en galante compagnie, il pensait s'attarder un peu. Avec sa dégaine de croque-mort, ainsi que les accessoires qui vont avec : long cache-poussière noir, Stetson et paire de bottes de couleurs assorties, il n'a au premier abord aucune qualité pour attirer l'attention ou pour impressionner, mais son habileté au revolver longue portée ôte tout de suite ce doute de la pensée du spectateur et des gens du village. Il n'a pour l'instant qu'une motivation : récupérer du fric en débarrassant la région de ces gringos qui mènent du fil à retordre aux autorités et au commerce locaux.
C'est aussi celle du Manco (le "Manchot", surnommé ainsi dans la VF car il ne sert exclusivement pas de ses deux mains en même temps, préférant en garder une sur son précieux revolver) alias "The man with no name" alias Clintie alias Ze Boss qui après une entrée apparemment tranquille dans un saloon dès les premières minutes du film, rosse le chef d'une bande de truands connus jouant (ou trichant, ça dépend du point de vue ^^) au poker puis ensuite le gang tout entier et enfin règle le compte d'un autre groupe de récalcitrants qui attendaient dehors en les envoyant direct dans l'autre monde. Il récupère ainsi 2000 $ et une conscience (assez) tranquille.
Si l'on nous présente ces deux personnages, le colonel Douglas Mortimer d'une part (Van Cleef), et le "Manchot" de l'autre, c'est pour nous dévoiler la venue dans le long-métrage d'un troisième larron : l'Indien. un impitoyable tueur psychopathe, joué une fois de plus par le génial méchant Gian Maria Volontè, parfait dans ce rôle, qui s'est évadé de prison grâce à l'aide de ses acolytes (on peut déceler parmi l'un deux le gars barbu et corpulent allié des Rodos dans "Pour une poignée de dollars" ainsi que le jeune débutant Klaus Kinski) et qui, après avoir buté au passage son compagnon de cellule et le directeur de la taule, s'offre le gars qui l'a livré et toute sa famille en prime. Une autre prime, celle qui concerne sa tête bien sûr, attire évidemment les convoitises de nos deux gueules d'ange. Mais on voit ici que les intrigues secondaires n'ont pas été non plus laissées pour compte par Leone, qui développe l'histoire d'un certain magot de plus de 500 000 $ dont l'Indien connaît l'emplacement grâce aux informations d'un vieux menuisier, et dont il souhaite s'emparer en menant une attaque à la banque d'El Paso. Une rivalité s'installe alors entre Van Cleef et Clintie. Un pseudo-duel mémorable tant sur le plan technique que de l'ambiance se tient peu de temps après dans la rue opposée de l'hôtel où ils logent tous deux. Chacun essaye d'impressionner l'autre : Clintie met dans un premier temps à mal Mortimer en balançant 6 fois son chapeau troué dans la poussière mais, avec trop d'assurance, oublie de compter les balles et une fois qu'il a vidé son chargeur, Van Cleef fait à son tour littéralement voler son Stetson à 5 reprises dans l'air de la nuit. Le "Manchot" comprend qu'ils sont de forces égales et l'on voit tout de suite que la ruse et l'intelligence, plus que son habileté aux armes, sont ses qualités premières. Il propose de marcher ensemble pour éliminer l'Indien et toucher la prime.
Toute l'âme du western réside en réalité dans les rapports de force, ces mêmes relations qui ont depuis la nuit des temps divisé les hommes en clans et fait émerger de ces bandes souvent rivales des chefs. Ils unissent, créent des vassaux ou des ennemis. on peut dire sans aucun doute que, dans un tel long-métrage, plus les rapports de force seront complexes entre les caractères des personnages, et plus le film sera réussi. Par exemple, ici, intelligemment, l'Homme-sans-nom "fuit" la confrontation car cette dernière est rendue obsolète et se trouve éclipsée par les concepts de profit et d'intérêt dès lors qu'il entrevoit la possibilité d'utiliser l'habileté de son rival, égale à la sienne pour servir ses propres desseins. Pour autant, il est quasiment impossible de dire si l'association qui unit temporairement les deux hommes ne se détériorera pas au fil de l'intrigue ; c'est donc aussi l'évolution du rapport de force qui décide de l'issue du western (par combat ou par ruse), de la déclaration de tel ou tel vainqueur et du gain moral ou matériel dont ce dernier peut se voir profiter (c'est aussi le réalisateur/metteur en scène/scénariste qui décide de tout ça ! ^^ ^^ mais on sent que le western est tellement prenant que l'intrigue prend le pas sur ses créateurs ; c'est ce qui arrive [trop rarement] lorsqu'on visionne un bon film)
La nouveauté dans ce long-métrage, c'est la dimension de vengeance morale, qui plane au-dessus de l'esprit du Colonel Douglas Mortimer et qui nous est dévoilée progressivement dans le film à travers une série de 3 plans en flash-back (dont Leone se rendra maître dans "Il était une fois dans l'Ouest"), les deux derniers complétant le précédent. Son métier nous apparaît alors comme une réelle façade, sa vraie motivation étant la justice, celle de la mort d'un être cher plus précisément. Ainsi, une facette plus humaine est prêtée aux (anti) héros, à défaut de trouver des bons côtés aux méchants, dont la noirceur est au contraire accentuée ; leur appât du gain n'est ici pas exagéré et l'on voit bien que le désir d'être libre et de ne rien devoir à personne l'emporte sur leur cupidité première : Van Cleef ne souhaite pas récupérer une once de pognon, quant à Clintie, il se contente de la prime sans toucher au magot : c'est aussi une autre personnalité du flingueur sans nom qui nous est ici livrée, vivant au jour le jour, n'ayant aucune attache, avec suffisamment d'argent pour vivre jusqu'à une prochaine mission de pur défoulement pistolérien, et après avoir abondamment dépensé son pognon en whisky et achat de tabac à rouler.
Le personnage du "Manchot", opportuniste, je-m'en-foutiste et dont l'éternel cynisme n'a d'égal que son assurance dans les duels au revolver, contraste donc ici parfaitement avec le caractère de Mortimer, droit et juste ; on pourrait même dire que ce-dernier personnifie la mort (en grande partie grâce à son apparence) neutre qui frappe non-arbitrairement tous les gringos du pays de l'Ouest Sauvage.

Et le "Manchot" en abattant un truand de répondre à Mortimer qui lui demandait s'il y avait un problème : - Rien, c'est le compte qui n'y était pas. Et reprenant le feuilletage de son 27e billet de 1000 $ avec une extrême sérénité.

Un choix de scénario judicieux de Leone, qui préfère placer sur le devant de la scène des personnalités contre-balançant le caractère solitaire de l'Homme-sans-nom, afin de ne pas essouffler le rythme de son triptyque en ne se concentrant que sur une grande épopée où Clintie flinguerait avec chiantitude les méchants et rétablirait malgré lui l'ordre, se découvrant un héros en lui-même. Non, Sergio préfère varier et proposer tous types de personnages : des repentis, des salauds, des rusés sans force, des brutes sans cervelle, des justes quoiqu'il arrive, des roublards changeurs d'opinions et d'intérêts ... qui paradoxalement mettent du même coup en valeur celui du personnage principal animé par un Clint Eastwood au top de sa forme, sans toutefois le montrer à outrance à l'écran, laissant davantage au spectateur le soin d'apprécier et de découvrir toute l'ambiance de l'Ouest et de ses truculents autant qu'insolites représentants, totalement contraire à l'atmosphère manichéenne que les westerns dignes de l'Âge d'Or hollywoodien dépeignaient avec tant d'orgueil. Bref, Sergio Leone réalise dans ce volet-charnière une belle opération en complétant avec beaucoup de classe l'aspect de ce personnage qui traverse tour à tour les villages mexicains de son ombre dangereuse, par rapport à laquelle il semble tirer plus vite d'ailleurs, et offre une belle leçon morale en trouvant des buts éthiques dans les actions au premier abord plus que malhonnêtes de personnages à l'aspect miteux et au passé insondable. Il offre ainsi de nouveau une superbe composition baroque et théâtrale où la mise en scène des caractères complexes et multiples est certaines fois carrément plus importante que la finalité de la réalisation des manœuvre entreprises par les personnages, grâce au génie de la caméra.


Un petit mot sur la composition musicale du long-métrage : Si Morricone ne signe pas ici sa plus belle partition (c'est d'ailleurs selon moi la "pire" - enfin façon de parler -) de toutes concernant sa collaboration avec Sergio Leone, il réussit une fois de plus grâce à ses morceaux à coller davantage à la peau des personnages représentés, davantage reconnaissables donc dès lors qu'ils entrent en scène avec maestria. On peut également noter un emploi plus important des cordes de la part du maître d'orchestre italien mais aussi une plus grande densité de variations entre instruments et voix dans les titres marquants. Parmi mes œuvres préférées dans cette B.O., je note #1 per cualquie dollaro in piu mais aussi le superbe (quoiqu'un peu répétitif dan l'OST) "Music Clock" emblématique du duel final et de la compréhension des flash-backs qui entourent de leur aura la personnalité du Colonel Douglas Mortimer, #3 Sequence 3 (Titoli), #4 Observatori osservati, #21 Occhio per occhio ainsi que son équivalent anglo-américain #22 Eye for an eye.
Bref, un régal pour les tympans, ah préparez-vous avant la venue des tubes DÉCÉRÉBRÉS DE L'ÉTÉ !!

Ce deuxième volet des aventures de l'Homme-sans-nom fut d'ailleurs un franc succès au box-office puisqu' avec un budget, certes 3 fois plus important que le précédent (600 000 $, une poignée de dollars en fait, comparé à ce qu'on fout dans les blockbusters today, comme quoi c'est pas la taille, euh .. la masse qui compte) mais qui a rapporté au final une somme rondelette de 15 M$ rien que sur le sol américain, soit 103,3 M$ actuels - les blockbusters n'étaient pas encore arrivés je vous dis il faudra attendre encore 8 ans ! -

Voilà, cette critique est désormais terminée ! Pour les 4 ou 5 (voire plus, ça dépend à quelle heure vous avez commencé à lire cet avis) qui se sont endormis devant leur écran, courage, je reviens bientôt avec une dernière critique pour boucler la Trilogie du Dollar !

PS : La seule vraie morale dans l'Ouest, c'est en fait surtout celle de celui qui fait parler son flingue le plus vite, je crois ! Donc en fait, de là, on peut en tirer une autre maxime : si tu te promènes dans l'Ouest américain du 19e siècle sans aucune arme à feu, ben ... t'es dans la merde.
DeusVivendi

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