Joyau caché de la filmographie de Bogdanovich, "They all laughed" représente le film d'une vie pour le cinéaste. Si le métrage devait signer son retour triomphal à Hollywood, celui-ci lui fera frôler la faillite. En cause, la tragédie du meurtre de son actrice et concubine, Dorothy Stratten. Survenue durant le montage du film, l'ex-playmate fut alors assassinée par son époux jaloux, à tout juste 20 ans.


Le studio laissant alors tomber le film, Bogdanovich en rachètera les droits afin de le distribuer lui-même, malgré les avertissements de ses proches. Malheureusement, celui-ci n'ayant pas les épaules pour assurer une distribution efficace, "...et tout le monde riait" sera un gros échec en salle, laissant Bogdanovich ruiné et dévasté par les évènements entourant la mort de Dorothy Stratten.


Si "They all Laughed" reste pratiquement invisible depuis longtemps, cela ne l'empêche pas de faire l'objet d'un culte de la part de réalisateurs comme Wes Anderson et Quentin Tarantino qui évoquent le film dès qu'ils le peuvent, comme une source d'influence majeure de leurs travaux. Et pour cause, car celui-ci représente très certainement la plus grande réussite artistique de Peter Bogdanovich.


Le film nous raconte la vie d'une petite agence de détectives, dont les missions se résument à filer les femmes des maris jaloux. Il s'agit donc d'une comédie "policière", où les détectives finissent par filer le parfait amour, ceux-ci cherchant plutôt à séduire ces femmes au lieu de les espionner.


Réalisé à la suite du magnifique "Saint Jack", Bogdanovich poursuit alors dans sa lancée d'un tournage au budget beaucoup moins extensible que dans ses projets du début des années 70, qui représentent alors le sommet de sa gloire. À ce budget réduit va donc s'accompagner une plus grande liberté, accordée à la fois aux acteurs et à la caméra.


En effet, si l'on pouvait ressentir un jeu et une mise en scène extrêmement calculés et millimétrés dans certains de ses films de "studio" comme "What's up Doc ?", ici Bogdanovich laisse respirer son récit, et donne une impression de pris sur le vif à l'ensemble. Impression renforcée par son tournage à New-York qui fut fait sans autorisation la plupart du temps.


Il se dégage alors une impression de merveilleux permanent dans le film, où Bogdanovich réussit le miracle de nous montrer cette ville de New York sous son meilleur jour, presque de manière fantasmagorique pourrait-on dire. Car là où le cinéma des années 70 nous avait habitués à une ville anxiogène et dangereuse, voir à la limite du dépotoir, ici, Bogdanovich nous la montre au contraire de manière élégante, comme une ville de conte de fée, dans laquelle les amours se font et se défont en un claquement d'oeil. Rarement aura-t-on vu autant de personnages s'embrasser au cours d'un film, le récit de détective servant alors d'excuse à la réalisation d'une screwball comedy à la Howard Hawks.


Un sentiment hors du temps se fait alors ressentir durant le visionnage, renforcé par une superbe BO mélangeant Jazz et Country, Sinatra et Johnny Cash (le titre They all laughed vient par ailleurs d'une musique du premier cité). Le film réussit à nous faire passer du rire à la mélancolie, dont l'esprit tout entier est dédié à sa muse Dorothy Stratten. Il parvient ainsi à nous attacher à cette galerie de personnages, tous magnifiquement incarnés par l'ensemble du casting, composé en grande partie par des proches de Bogdanovich.


On devine alors rapidement que tout ce petit monde s'est beaucoup amusé sur le tournage, et celui-ci fut même salutaire pour Ben Gazara qui était alors en pleine dépression. Mention personnel également pour Colleen Camp, absolument fabuleuse en petite star de la country et maniaque du contrôle.


En espérant rapidement une sortie en Blu Ray pour ce film beaucoup trop rare aujourd'hui et très difficile à trouver en dehors de quelques passages à la télé et en salle, comme cette année à l'occasion de la rétrospective sur Peter Bogdanovich à la cinémathèque de Paris. Plutôt secrète en France, à l'exception de quelques cinéphiles, la filmographie de ce dernier mérite également d'être reconnue, ses films n'étant pas réservés à une élite snob comme l'on pourrait le croire de prime abord.


La vision du cinéma de Bogdanovich s'est formé au travers des grands classiques Hollywoodiens, de Hawks à Ford en passant par Capra et Welles, dès lors celui-ci a toujours eu du ressentiment pour un certain cinéma Européen qu'il accusait de scléroser le public dans des cases, avec d'un côté le cinéma populaire et de l'autre un cinéma d'auteur à la Antonioni, ne s'adressant qu'à un public restreint et ne cherchant pas à faire la passerelle entre ces deux mondes.


Dans la mélancolie qui le caractérise et nous le rend éminemment touchant, celui-ci a toujours eu la persuasion, et ce dès ses débuts, que les grands films avaient déjà été faits. Toute la beauté du cinéma de Peter Bogdanovich réside alors dans cette quête de rassembler les publics, dans un condensé d'humour et de loufoquerie.



Christophe-Parking
10

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le 26 mai 2023

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le 26 mai 2023

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