Critiques vous êtes des veaux

"Critiques vous êtes des veaux" écrivait Boris Vian il y a presque 70 ans. Et force est de constater à la lecture des critiques que l'on peut voir sur Eternité, que nous n'avons pas vraiment évoluer de notre condition de bovin écervelé.
Peut-on me dire pourquoi lorsqu'une oeuvre, ici un film, est différente par sa forme comme par son fond, que sa force vitale et narrative repose sur de la bienveillance, de la pudeur, de la délicatesse, alors celle-ci récolte inévitablement les foudres impitoyables des critiques (amateurs).

Sérieusement, en sommes nous arriver là, nous, utilisateurs de "sens critique" qui mettons volontiers en avant notre culture cinématographique et artistique pour faire et défaire, caché derrière nos claviers et nos pseudos le travail acharné et l'abnégation que représente la création d'un film?

Je ne veux pas croire que la médiocrité de la majeure partie des productions nous ai rendu insensibles et rigides au point de ne pas reconnaitre la beauté où elle est, la singularité où elle est.

Je ne veux pas croire que nous donnions gain de cause à la lobotomie imposée par les grands studios, au détriment des artisans qui vont puiser au plus profond de leur coeur et de leur savoir faire des films qu'ils portent à bout de bras pour qu'ils existent.

Alors la promo du film malheureusement le dessert totalement.
Le vendre comme le "Tree of life" à la française, faire en sorte de monter la bande annonce dans ce sens et faire une affiche extrêmement proche du film de Malick évoque clairement le manque de courage d'un distributeur face à une oeuvre singulière.
Effectivement le plan de la main du bébé se refermant sur celle de sa mère, conçu par Tran Anh Hung comme un hommage à Malick dont il admire le travail, est le seul élément semblable aux deux films.

Là où "Tree of life" offrait un récit complexe, tentaculaire, un brin désordonné, "Eternité" raconte une histoire de manière extrêmement resserrée.
Derrière des couleurs et des décors un brin chargés, Hung ne donne que l'essence de son histoire.
Dans des mouvements qui rapprochent le film du ballet, la caméra affutée du cinéaste film une danse inéluctable.
Celle où se succedent la naissance, la maladie, la mort, l'impermanence toujours prête à emporter ceux que l'on aime, quelque soit leur age, ou la force de l'amour que l'on éprouve pour eux, la danse qui berce nos vie entre joies immenses et tristesses insondables.
Voilà le seul et unique élément dramatique de cette histoire, voilà sa force. Y'a t-il quelqu'un parmi nous qui peut se dire être épargné par cette danse magique et désespérée?

Les supers héros de cette histoire sont les filles, qui deviennent femmes, qui deviennent mères. Ce sont ces héros dont le pouvoir est de donner la vie, de la protéger, de la nourrir, de resister lorsque cette vie vient à céder. Ce point de vue choisi donne tout son sens et sa force à l'histoire.

Pour finir on peut parler du sens du détail et de l'élégance du cinéaste, dans les décors, les couleurs, comme dans sa façon de placer et déplacer la caméra. Tout cela est d'une grande cohérence pour qui connait les films du réalisateur

Je vous livre en quelques mots, mon sentiment sur le film et le contexte dans lequel je le vois évoluer.

Il est tout à fait légitime de ne pas aimer une oeuvre, mais il est important de rappeler que les films eux aussi ont besoin d'être considéré avec ouverture et bienveillance, car derrière eux se cachent des personnes qui leur ont donnés vie.