Si proche et si loin du chef d'oeuvre

En plein reportage sur la construction du métro de Copenhague, Rie doit se réfugier avec deux ouvriers dans le caisson hyperbare d'une tête de foreuse pour échapper à un incendie.


Exit (2020), écrit et réalisé par le danois Rasmus Kloster Bro, est surprenant de qualité. La réalisation, notamment, est d'une maîtrise impressionnante pour un premier film. La caméra épaule se rapproche de plus en plus des personnages au fur et à mesure qu'ils se réfugient dans des endroits de plus en plus exigus, renvoie une atmosphère claustrophobe et oppressante (qui m'a rappelé Le Bateau, 1981), alors même que le ressort claustrophobique n'est jamais utilisé dans l'histoire. Et pourtant, les deux plans larges du film (lors du générique d'ouverture et de la descente dans le métro), font preuve d'une composition recherchée, d'un onirisme fascinant, donnant presque vie au béton de ce Tartare moderne.


Le design sonore aussi est incroyablement bien fichu et renforce l'immersion (je pense entre autres à la scène de la compression quand Rie rentre dans le caisson médical). Rien à envier à Sans un Bruit (2018) alors que le son n'est même pas une thématique du film. Mieux encore, car la musique est utilisée avec plus de parcimonie.


Côté écriture, la progression dramatique est prenante et les dialogues sont bien écrits, ainsi que brillamment interprétés par les acteurs. Tout le premier acte, le reportage de Rie dans le métro, le décalage entre ses questions et les préoccupations des ouvriers, tout fonctionne à merveille. En gros, j'étais entrain de me prendre une énorme claque cinématographique.


Sauf que... la claque a dévissé en pleine course et m'a presque manqué. Car si l'écriture possède bien des qualités, elle souffre également de plusieurs défauts. Du plus anecdotique au plus sévère.


D'abord, un petit soucis au niveau de la gestion de l'information. J'ai mis pas mal de temps avant de comprendre qu'il s'agit bien d'un métro. On ne nous expliquera jamais non plus pourquoi les foreuses ont des caissons hyperbares. Pas très grave mais sur le moment c'est un peu frustrant.


Ensuite, les personnages sont souvent passifs. L'histoire veut ça : ils sont condamnés à attendre qu'on vienne les secourir. Sauf que ça crée quelques longueurs malvenues (d'autant plus que les moments de tensions où les personnages sont actifs sont extraordinairement prenants). Y compris lors du climax du film, ce qui est quand même très... anticlimactique.


Mais le problème principal du film est son personnage principal. Rie. Je n'ai jamais réussi à la cerner. Est elle égoïste, compatissante, manipulatrice ? Elle semble changer de comportement régulièrement au cours du film, et si dans la réalité les gens peuvent effectivement être complexes et inconstants, c'est aucunement amené ici.


La séquence symptomatique est celle où l'on découvre qu'elle a une fille. Elle s'en veut de n'y avoir pas pensé depuis l'incendie. Certes. Puis finalement d'un coup elle décide que sa fille mérite de trahir ses deux compères pour se faire la malle avec le respirateur, qu'elle avait caché. Pourquoi l'avait elle caché ? L'avait-elle oublié ? Et du coup, la proposition de payer la dette de Bharan est-elle un acte de bonté ou une manipulation ? Le climax où elle partage puis se dispute le respirateur avec Bharan ne nous éclaire en rien d'ailleurs...


Le soucis c'est que j'ai plus jamais réussi à m'identifier à Rie, à avoir de l'empathie pour elle. Et ça m'a gâché toute la dernière scène, intéressante au demeurant avec sa réflexion sur la bestialité de la nature humaine et ses regards supposément lourds de sens, parce que du coup je ne comprenais plus le personnage depuis longtemps. Pire, j'ai fini le film frustré (et pas dans le bon sens où le réalisateur joue sciemment avec nos attentes).


Bref, Exit est passé à deux doigts du chef d'oeuvre. Tellement proche, en fait, que c'en est même rageant de le voir se planter magistralement sur son personnage principal. En espérant que la prochaine fois soit la bonne.

Bastral
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le 28 juil. 2020

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