Que Ridley Scott s’attaque de façon directe à l’un des épisodes bibliques fondateurs ne surprend pas ; son traitement, en revanche, risque de diviser tant le cinéaste injecte dans l’exode son nihilisme et sa défiance vis-à-vis des religions établies.


Car Exodus: Gods and Kings installe dès son titre un balancement entre deux puissances qu’une conjonction de coordination unit et place sur le même plan : il y a les dieux – le pluriel est essentiel –, entités abstraites et supérieures propres à chaque peuple mais également à chaque individu ; il y a les rois, êtres de chair supérieurs en raison de leur appartenance par le sang à un lignage, qui tendent à se substituer aux dieux qu’ils vénèrent en drapant leur mortalité congénitale de leur éternité. La cité monumentale que fait construire Ramsès constitue ainsi le reflet d’une prétendue cité céleste, le transfert d’un gigantisme divin à un gigantisme architectural bâti par l’homme. Le retardement des travaux – huit ans ont passé et ils ne sont pas encore finis – agace justement le roi parce qu’il le confronte aux limites de son pouvoir et de son vouloir : ses ordres, exécutés par des vassaux apeurés, échouent à imiter la valeur inchoative du Verbe de Dieu qui est exécuté au moment même où il est prononcé.


Aussi, l’évolution du personnage insiste sur son isolement progressif et son désarroi, confronté à la solitude du pouvoir telle que pouvaient la subir un Richard III ou un Boris Godounov dans les pièces de théâtre de même nom : détesté de ses pairs, redouté par son peuple, il voit sa femme défigurée et son enfant mourir, contraint à terme de poursuivre son frère jusqu’à engloutir son armée. En réaction, le parcours identitaire de Moïse évolue en sens inverse : il commence par subir la solitude, conséquence de son exil, avant de prendre conscience non seulement de son appartenance au peuple hébreu, mais surtout de sa mission divine qui consiste à le conduire vers sa liberté. Le prince devient un berger, il se raccorde à la terre et à l’essentiel, loin des fastes et des artifices de la vie royale. Son combat fait de lui non pas un élu de Dieu mais un illuminé qui se parle seul en s’adressant à une image mentale, un petit garçon qui pourrait être lui enfant et qui placerait aussitôt l’inspiration du côté du psychique voire de la démence.


Ridley Scott prend un malin plaisir à subvertir les apparitions et les miracles en exposant leurs causes scientifiques : les dix plaies seraient alors motivées par une modification de la qualité argileuse du sol, perturbant la composition de l’eau, tuant les poissons et ramenant sur le rivage tous les batraciens. Un fantoche est d’ailleurs spécialisé dans la démonstration scientifique : il finira pendu. De même, c’est la chute d’une météorite qui semble perturber le niveau de la mer, facilitant le passage des Hébreux. Le cinéaste montre ainsi que les récits de Création, s’ils s’inspirent bel et bien de la réalité, réécrivent cette dernière en y projetant leurs fantasmes, leurs terreurs et leurs espérances ; « tout est dans le regard », affirment les deux frères : un coup d’œil suffit pour démasquer le vrai du faux.


Nous retrouvons la notion de vérité, partout présente dans le cinéma de Scott pour justement dénoncer son travestissement et son instrumentalisation par des êtres cupides. La seule vérité d’Exodus réside dans l’appartenance de l’individu à une communauté et à une famille, ici un peuple duquel il a été banni nourrisson, et dans la lutte menée pour défendre les droits de ses pairs, notamment des plus fragiles. Cette appartenance intervient à la façon d’une révélation, incarnée à l’écran comme dans l’esprit de Moïse par l’enfant spectral. « Il a trouvé un dieu, son dieu », s’exclame Ramsès : la conscience de servir une cause plus grande que lui et de laquelle il tire son identité. Une fresque intelligente et magistralement mise en scène, forte d’acteurs talentueux et d’effets spéciaux superbes.

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le 23 avr. 2021

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