Stanley Kubrick est un cinéaste écrasant. Avec Eyes Wide Shut il s'attaque à a manipulation du regard.


Encore une fois Kubrick inscrit son film dans un genre. Ici, comme souvent, un film de bourgeois. Un film de Noël. Et un film d'inquiétante étrangeté.


Les premiers plans font des effets de surcadrage, et même de duplication avec des cadres photos de famille. Notre œil de spectateur est amené à regarder les reflets, les images renvoyées (celle que l'on veut donner sur les photos) plutôt que le réel.


Construction mécanique, la première partie semble dérouler la visite du Monde des fantasmes (desquels ? Issus de l'imaginaire de qui ? On verra ça plus tard). La deuxième partie, le retour au réel, ce serait la désillusion.


Si on prend le discours du film sans surinterpréter les choses, c'est ça que raconte le Eyes Wide Shut : nous amener à voir une triste réalité au lieu des fantasmes qui donnent les frissons de la peur ou du désir. Et nous amener à nous en contenter. Nous contenter de la chance d'être en Vie.


Cette leçon de vie, elle nous est donné à grand coup de trique par un film qui manipule, avec talent, le regard du spectateur




L'œil et l'esprit


Le premier plan du film :


Eyes Wide Shut s'ouvre avec l'image érotique d'une femme qui se dénude de dos. Plan voyeur, on ne sait pas s'il s'agit d'une vue subjective de nous seuls spectateurs ? D'une Image mentale issue du cerveau du personnage principal de Bill Harford ?


On a le dispositif du film posé : Nous serons toujours avec Bill, parfois nous aurons l'impression d'être seuls. De précéder les évènements (on voit Bill entrer dans les pièces depuis l'intérieur) mais serons toujours habités pas cette question un peu angoissée de savoir si nous sommes vraiment seuls. Si notre regard peut se laisse aller à vagabonder librement dans des zones intimes voire sombres ou si nous devons rester sur nos gardes.


C'est pas mal mais plus tard dans le film, nous aurons un aperçu de ce qui menace. C'est juste la caméra de Kubrick le patron qui surplombe ses personnages, son spectateur et le Monde. Dans un plan en plongée qui va nous montrer l'ensemble de l'orgie vue d'en haut. Tous ces puissants mystérieux, vus d'en haut, sont comme de petits personnages ridicules qui regardent la caméra.


On a une première sortie de rêve nous, en tant que spectateur, dans l'instant qui suit : Bill coupe la musique pompeuse et romantique qui accompagnait cette image érotique. Nous n'étions pas seuls dans notre tête, la musique existait en vrai dans le monde du film.


Ce retour à la réalité enchaine avec une image de cette même femme mais assise sur les WC. Voilà on a le programme : le contraste entre Fantasme et Pipi.



La Fabrique du regard


Le rapport entre l'œil et l'esprit est un rapport constant dans sa carrière du cinéaste. Et s'il a fallu attendre son dernier film pour trouver dans un titre le mot "œil", ce n'est qu'un point final après tout une série de films, qui ne cherchent pas tant à creuser la question phénoménologique qu'à plus prosaïquement utiliser l'œil des spectateur pour l'impressionner avec de grandes images et des idées prétendument plus grande que ce que le petit cerveau derrière nos écoutilles ne sauraient manipuler.


Alors voilà, Stanley Kubrick nous manipule.


D'un côté il met en place une grammaire simple et très efficace: A la première fête chez Ziegler, Tom Cruise drague en plan fixe, puis en traveling : il reste figé dans le cadre. Quant à Nicole Kidman, la caméra tourne autour d'elle et du hongrois qui la courtise. Le cinéaste pose les jalons de son thème à dérouler : qui mène la danse ? Qui a un regard mobile et qui a un regard figé.


D'un autre côté, comme dans Shining, il va recourir à beaucoup d'éléments (essentiellement d'image comme toujours chez lui) subliminaux :

• Venise

• Le judaisme

• Cornes du Diable

• "Over The Rainbow"

• Maladie…


Avec ces techniques, Kubrick se révèle davantage Meta et travaille la question : Qu'est-ce que l'oeil fait à l'esprit malgré lui ?



Pouvoirs


La fête chez Ziegler se conclue avec cette scène où Bill réanime Mandy, la prostituée. Cette réanimation, il la réalise par la parole. Le montage va écarter Ziegler pour connecter Bill et Mandy comme Danny et Halloran avec leur Shining. C'est cette connexion qui la fait revenir à la vie.


Le regard de Bill, qu'il le veuille ou non, est agissant. Il a le pouvoir de ramener à la vie les toxicomanes tout comme il a le malheur de le faire remarquer, alors intrus masqué, dans l'orgie.


Regarder un film c'est déjà rêver.


On se met dans un état d'abandon et on se laisse glisser. Notre séance de cinéma c'est une occasion de laisser notre œil et notre esprit vagabonder au-delà même des questions du conscient et de l'inconscient. En état d'hypnose nous sommes manipulables et Stanley Kubrick, comme souvent, use consciemment de ce pouvoir.




Fantastique


On l'a dit, Eyes Wide Shut ressemble beaucoup à Shinning :


• Il y est question de déambulations

• Il y a des images subliminales

• Le sujet est celui foyer familial confronté à ses propres démons, ceux qui sont refoulés.

• Dans les 2 cas nous sommes face à de faux films de genre, de mauvais films fantastiques


J'ai effectivement la sensation que avec Eyes Wide Shut, Stanley Kubrick souhaite faire un film fantastique. Pas le même que Shining bien évidement. Un truc plus radical (au sens de puissant sa source à la racine) de l'inquiétante étrangeté et du "Horla de Zola tel qu'on nous l'enseigne au lycée.


En effet dans ce New York de pacotilles, on a des effets étranges :

• L'atmosphère globale

• A la fête chez Ziegler, les visages de Nicole Kidman et surtout de son dragueur Hongrois se dédoublent à la faveur de fondus enchainés placés là sans nécessité de transition.

• Au club de jazz les lampes comme des boules de cristal. On passe vers une ambiance plus fantastique. Ésotérique.

• Lorsque Bill (Tom Cruise) va visiter un patient décédé et rencontre sa fille : Karl et Marion sont les sosies de Cruise et Kidman jusque dans leurs mouvements dans la pièce.

• Dans la boutique "Over the rainbow" : Au magasin de costumes, Milich dit que ses costumes ont l'air vivants. Puis y a les pervers qui font peur et qui sautent de derrière le décor.


Et sur ce dernier point, il faut avouer que le film réussi à faire peur. Plus tard dans l'histoire, on aura pendant la scène de l'orgie le zoom le plus flippant de l'histoire du cinéma. On aura les mêmes zooms sur les caméras de surveillance a l'extérieur le lendemain.


Ces mouvements optiques, c'est le classico du film à trouille : Voir et être vu.

ON est en situation de pouvoir lorsque l'on voit sans être vu. Nous sommes en danger lorsque nous sommes vus


Ici Bill est dans la plus grande situation de danger quand on le démasque a tous les sens du terme, et qu'on le menace de le déshabiller.


Dans ce film, les mecs regardent, les meufs se déshabillent.

Quand les meufs se foutent à poil c'est des canons de beauté (faudrait pas déconner à nous montrer des moches).

Quand un mec se fout à poil, il se met en danger. La pire menace de Eyes Wide Shut étant de mettre Tom Cruise cul nul à son jugement.



Ce que Montre Eyes Wide Shut, c'est que Voir est aussi dangereux à partir du moment ou ce regard n'est pas figé. On se met en danger au moment où l'on devient mobile. C'est là que nous sommes détectés.


Bill Hartford ne devient pas agissant car il est en danger, c'est l'inverse, il se met en danger au moment où il décide de devenir un voyeur agissant.




Du cul du cul du cul


Eyes Wide Shut a été vendu comme un film de cul.


Les scandales de bourgeois sur les plateaux de télé avec l'interdiction aux -18 ans, la promesse de voir le fiac de 2 grandes stars glamour.


Alors oui, il y a une vraie puissance érotique avec Nicole Kidman dans son intimité. Et celle-ci, finalement, s'oppose aux scènes de l'orgie qui, bien plus explicites, sont en fait très froides, mécaniques et peu stimulantes.

Dans cette orgie, soit on regarde figé, soit on copule comme un automate. Bill est le seul qui va vraiment être mobile, promener son corps, son œil, et notre caméra dans le manoir. On l'a vu, c'est précisément cela qui le fera tomber.


Dans ces 2 types de scènes on a des femmes à poil, mais ce qui change entre les 2, c'est notre regard de spectateur. Ce qui nous fait bander ce n'est pas finalement la nudité de l'autre mais notre rapport, à ce moment-là, dans ce contexte-là, à cette nudité.


L'érotisme ce serait donc notre manière de voir.

Dans l'imaginaire despotique Kubrickien, on vit seul, on bande seul, on meurt seul.



Cette solitude, au sein même de leur couple Bill et Alice l'incarnent quand ils niquent. Ils se voient alors via le truchement d'un miroir plutôt que directement en croisant leurs regard. Alice a même tendance à se regarder elle-même. Sans lunettes. Un regard de voyeur, capté par nous-mêmes voyeurs dociles de Stanley.



L'erotisme, c'est aussi le pouvoir de la parole.


Le fantasme d'Alice est le fait générateur de la déambulation vers les enfers de son mari.


Plus que ce joint dont on a fait des choux gras. Kidman n'a pas vraiment l'air défoncée, elle surjoue. Ce pétard est tellement gras et caricatural qu'il n'est en fait qu'un prétexte.


Prétexte à quoi ? A libérer la parole. Comme un mec qui va pelloter une meuf en soirée, el famoso "Désolé j'étais bourré".


Le pouvoir de la parole c'est celui de contaminer l'autre en lui racontant ses rêves, ses fantasmes. Et ce qui ets intéressant est donc comment on raconte ça plutôt que le fantasme lui-même. C'est pour cela que Kubrick va filmer Alice qui raconte et non pas illustrer ce qu'elle dit.

Cette illustration on la verra plus tard via Bill. C'est la parole de l'autre qui produit des fantasme chez nous. La parole de l'autre ne fait pas que nous affecter, elle a un effet concret sur nos pensées et nos actes.


Et Bill c'est un impuissant.


Sa parole est impuissante dans le Monde sexuel d'Eyes Wide Shut, il a beau être un bourgeois new-yorkais, sa verve et sa carte de médecins ne suffiront jamais à reprendre le contrôle de sa situation.


Eyes Wide Shut, c'est l'histoire d'un type qui va se confronter a sa virilité. Il fait le bonhomme avec sa thune et sa carte de médecin mais se fait bolosser par des racailles, paye une pute qu'il baise pas.


Il na pas le code à la soirée orgiaque. Il n'a pas les codes sociaux des plus riches que lui. C'est comme cela qu'il se fait griller. Il croit les avoir alors qu'en réalité, ce qu'il a que les autres n'ont pas, c'est un regard mobile, vivace.


Son pouvoir à Bill, c'est de ramener à la vie les mortes.





Hospitalité


Eyes Wide Shut est un film poli. Un film qui parle du masque social.


Le frérot Bill Harfort, il enchaîne les visites d'appartement comme dans un épisode de Stephane Plazza. L'une des premières répliques explicite d'ailleurs que Ziegler est le pote du couple Cruise/Kidman car il faut garder en amitié un médecin qui se déplace à domicile


Film de sociabilité. D'hospitalité. On y voit les mécaniques sociales, les manières. Les rapports de classes qui se déploient en fractale chez les riches eux-même.


Le parcours de Bill Harford, c'est celui d'un petit bourgeois qui découvre l'incivilité. Il constate la violence (son pote pianiste tabassé) et la perversité (le costumier peso) du monde.


C'est là qu'il convient de noter que les Harford sont juifs. On puet le voir notamment au chandelier a 7 branches de l'appartement. Tom Cruise joue donc aussi le rôle d'un juif qui essaie de s'imposer (je crois que c'est le thème original de la nouvelle). Un bourgeois qui rencontre plus riche que lui.


Le programme est intéressant. Les sujets de Kubrick sont intéressants.

Mon problème avec ce film, c'est que Kubrick lui-même met en place des codes qui ne nous sont pas accessibles.


EWS est nourrit d'une utilisation rigoureuse et systématique des couleurs (bleu et jaune des lumières ; vert et rouge des matières). Et pourtant il ne semble pas y a voir vraiment de sens figé derrière cette grammaire de couleur. Elle est davantage poésie qu'essai. Ces couleurs, ces jeux d'échos, de doubles, de troubles, Ce sont des systèmes mis en place par Kubrick pour manipuler notre œil et notre esprit pendant la projection. Pour en faire quoi ?



Les ravages du temps


Kubrick le tape à l'œil commence toujours par le décor.


Il construit des mondes en vase clos.

Pres de chez lui. Ici il refabrique New York


Du coup s'il manipule notre regard c'est pour nous montrer quoi ?

Quand on prend au mot le projet Kubrickien, de prendre de la hauteur et de travailler des concepts, on voit qu'en fait son imaginaire est bien pauvre.


Cinéaste de l'œil, Kubrick a toujours cherché à nous mettre à terre avec ses images fascinantes. En cela il a un réel talent. Mais lorsque l'on regarde ce qui'l y a derrière l'esthétique frondeuse et puissante, on voit qu'il ne reste plus tant que ça. Et en cela, Gaspard Noé est dans la lignée de Kubrick. Un cinéaste démiurge fier de son talent.


Eyes Wide Shut est un film de Boomer. Le pianiste Nightingale est ce que Bill aurait pu être s'il était sorti des rails. Du rang.


Eyes Wide Shut parle de ce petit fantasme de crise de la quarantaine qui va titiller un bourgeois blanc new yorkais.


Et la leçon que l'on en tire que c'est que "Lucky to be alive" comme nous dira le journal : La mort hante le film, nos vies après un certain age. Film peuplé de morts de musique funèbre. Il faut Memento Mori et baiser en attendant.


Bon. Et sinon le côté prétendument avnat-gardiste, voire visionnaire, du grand Kubrick on le trouve où ?


• Dans le gardien de l'hôtel pédé caricatural ?

• Dans cet Érotisme de la vieille Europe ?


C'est un film qui parle de guerre des sexes et de fantasmes des années 20.


Le mystère montré ce n'est pas l'irréductible fossé entre les sexes.

Ça c'est posé comme acquis, y a pas à discuter et le dernier film de Kubrick restera un machin hyper genré et rétrograde.

Non le mystère c'est, sachant celà, la possibilité même du couple et de sa durée.


Il n'annonce pas comme on a pu le dire le porno chic, cette esthétique à la Dorcel existait depuis bien longtemps et justement ce qu'il se passe en 99 c'est exactement l'inverse avec la diffusion massive du gonzo par internet qui prend le pas sur les productions PPV à plus gros budget.


Eyes Wide Shut est un film de fin de vie.


Eyes Wide Shut est ringard. Il parle de la mort en puant la mort.


Il a été vendu comme sulfureux. Le problème avec le souffre, c'est que ça dégage une odeur de prout.


Peut-être pour la dernière fois Kubrick regarde derrière lui et realise une oeuvre de vieux con. Un vieux con talentueux mais un vieux con.


==========================


Stanley Kubrick

Dlra_Haou
7
Écrit par

Créée

le 24 déc. 2023

Critique lue 8 fois

Martin ROMERIO

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