Seul, il marchait tout nu dans cette mascarade qu'on appelle la vie.

Mascarade

Au fig., péj.

1. Comportement hypocrite. Synon. grimace.Tous, nous nous contraignons [à des obsèques ] à une bienséante parade, à une mascarade pieuse (Arnoux,Crimes innoc.,1952, p.47).

2. Situation dérisoire, mise en scène fallacieuse. Synon. farce.Seul il marchait tout nu dans cette mascarade Qu'on appelle la vie (Musset,Rolla,1833, p.7).Jamais conjonctures plus propices à toutes les mascarades sociales. Dix régimes en cinquante ans (Valéry,Variété II,1929, p.109)

Que dire sur ce film ? Il y a tellement de choses dont je pourrais parler. Rien que le mot de passe pour pouvoir accéder à l'orgie, Fidelio, est le nom de l'unique opéra de Beethoven qui narre l'histoire d'une femme noble travestie en homme et qui cherche à faire évader son mari en s’introduisant dans la prison où celui-ci est incarcéré. Cette référence n'est pas placée là au hasard mais est un clin d'oeil au milieu grand bourgeois de Bill et au travestissement social imposé par la haute société puis par le culte du manoir.

Eyes Wide Shut narre la quête de vengeance sexuelle d'un médecin qui va chercher à tromper sa femme après que celle-ci lui ait avoué son fantasme d'adultère avec un officier de marine.

Symboliquement castré par la révélation de sa femme, Bill va échouer dans son entreprise alors que des femmes se jettent littéralement dans ses bras (mais ce sont des prostitués à l'exception de la fille d'un de ses patients).

Voila pour l'introduction.

Dans ce film on y sent l'influence de Freud et de sa théorie sur la sexualité, Eyes Wides Shut est l'histoire d'un homme qui rencontre sa libido et, quelque part, son inconscient, dans les méandres inquiétant d'un New York crépusculaire et occulte.

Kubrick nous livre une vision pessimiste et noire du couple, de l'amour, du désir sexuel et enfin du sexe. Mais aussi de la haute société dont les codes répriment hypocritement la sexualité.

En plus de cela, Kubrick évoque la débauche d'une société secrète composée de membres de la haute société lors de la fameuse scène d'orgie aux apparences de quasi cérémonie religieuse dans le manoir.

Religion d'opérette. Tout est question de sexe, avec un arrière gout de mysticisme sexuel et toute la grandiloquence de carnaval dont se parent les sectes, une secte de la haute société. Le choix des costumes vénitiens n'est pas le fruit du hasard, car c'est bien à un carnaval sexuel que nous avons à faire.

Scène d'orgie aux allures de mascarade donc, car c'est bien elle la scène principale du film et qui le rend mémorable par son inquiétante étrangeté. C'est donc d'elle dont je vais le plus parler.

Dans cette scène, en effet, on y rencontre des protagonistes tout de noir vêtu, portant des masques vénitiens se livrant à une sexualité grotesque et débridée, d'autant plus que l'allure cérémonielle de l'orgie, la musique envoutante et effrayante, nous tient à distance d'un érotisme qui nous parait occulte, malsain et étrange. Sans parler de la beauté incontestable de la mise en scène réalisée par Kubrick qui renforce encore d'avantage le sentiment de malaise là où le spectacle des femmes nues devrait nous séduire.

En cherchant à tromper sa femme, c'est les méandres de son propre esprit que Bill va rencontrer. En portant un masque lors de l'orgie, il est évident que les auteurs cherchent à protéger leur anonymat, mais aussi à se cacher à eux même leurs plus bas instincts dans une mascarade hypocrite et dérangeante, Bill compris. Enfin, le masque est aussi un symbole du masque social que nous portons tous plus ou moins consciemment pour protéger qui nous sommes vraiment. Enfin, le masque que porte Bill symbolisera le poids de sa culpabilité qui reviendra au moment où l'on s'y attend le moins, avant que celui-ci craque et passe aux aveux devant sa femme.

D'ailleurs, lors de la première réception qui ouvre le film il est déjà question du mensonge du couple et de l'adultère au sein de la haute société, haute société dont Freud était à la fois le produit et le critique, le mensonge a la même fonction que le masque: dissimuler.

Le fait que des notables se débauchent ainsi avec des prostitués est en soit un commentaire évident sur la haute société et sa morale/religion mensongère. Mais aussi sur la morale apparente de Bill Harford, qui est guidé par les mêmes pulsions sexuelles, la même recherche de jouissance que tout à chacun. C'est là la vision qu'a Kubrick de la sexualité.

Le cérémonial quasi- religieux (de culte à mystère) n'étant qu'un prétexte pour se lâcher dans ce qu'il y a de plus graveleux en l'homme.

Bill, à l'instar de Freud (tout les deux médecins), apparait comme un outsider d'une société à laquelle il appartient pourtant (même s'il n'appartient pas à la secte et qu'il a vu ce qu'il n'aurait jamais dû voir dans le manoir). La fonction de médecin est aussi à prendre au sérieux, avec les métiers de policier, d'avocat, de juge, etc., il est un de ces métiers qui exigent de la retenue et de la distance vis à vis de la patientèle, et donc de rester en retrait de ses propres émotions.

A raison (quand l'on connait les scandales sexuels (particulièrement graves et sinistres) qui ont touché la haute société ces dernières années) ce film a été le terreau de théories du complot et de nombreuses spéculations. Mais ça me parait être une fausse piste pour interpréter le film de Kubrick.

Car le film traite des sectes (et pas seulement des sociétés secrètes) et de leur emprise, hélas, souvent sexuelle (quand elle n'est pas pécuniaire) qu'elles ont sur leurs adeptes, ici, dans la haute société, un milieu déjà impénétrable par le vulgum pecus.

Le choix de Tom Cruise, fervent adepte de la scientologie, pour incarner le rôle de Bill, n'est pas un hasard mais est dû à la malice de Kubrick, une mise en abyme. Pour contrôler les hommes il faut jouer sur leurs instincts, le sexe, l'argent, le pouvoir, le prestige comme l'avait compris Edwards Bernays (père de la propagande et de la publicité moderne et aussi proche de Freud).

L'argent, le sexe, le pouvoir, et souvent le prestige, voila les vrais motivations des gourous.

Nulle doute que la grandiloquence de la scène d'orgie puisse séduire aisément la haute société en quête de frisson et de distinction du commun des mortels. Même dans le vice ces gens là se distinguent de nous.

Le fait aussi que Nicole Kidman a été à la fois la femme de Bill dans Eyes Wide Shut et dans la réalité au moment du tournage n'est pas non plus un hasard, le couple star était bankable mais je pense que Kubrick y a trouvé un moyen astucieux de faire rejoindre la fiction avec la réalité: La réalité d'un couple qui s'affiche heureux à la face du monde mais qui est déjà en train de se déchirer dans les non-dits et sous le poids que fait porter la secte, par son control constant, sur ses adeptes.

Le père de Kidman étant d'ailleurs psychiatre, il était considéré comme personne "suppressive" par la scientologie, ici, c'est Bill qui est l'outsider à refouler du culte.

D'ailleurs, en plus de correspondre à La Nouvelle rêvée d'Arthur Schnitzler dont le film est une interprétation, le fantasme d'Alice de tromper Bill avec un officier de la marine ne serait il pas un clin d'oeil à Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie ?

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le 28 août 2024

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Axel Faure

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