Le cinéma n’a jamais été aussi près du rêve éveillé. Avec Eyes Wide Shut, Stanley Kubrick ne signe pas un simple film : il orchestre un rituel. Un cauchemar feutré, un labyrinthe sensoriel où chaque regard, chaque silence, chaque lumière tamisée semble cacher un secret indicible. Si le septième art est une invitation à franchir des portes interdites, alors Kubrick nous en tend la clé... et nous laisse seuls face à l’abîme.
Le Dr. Bill Harford (Tom Cruise) croyait maîtriser son existence, jusqu’à ce qu’un aveu trouble de sa femme Alice (Nicole Kidman) fissure son monde. Jaloux, il se lance dans une errance nocturne à la fois physique et mentale, où le sexe et le pouvoir se mêlent dans des jeux d’ombres fascinants. Mais est-il simple spectateur ou acteur involontaire d’un complot qui le dépasse ?
Car Eyes Wide Shut est bien plus qu’un thriller érotique. C’est une descente aux enfers subliminale, où la sexualité n’est pas plaisir, mais contrôle. Où la haute société new-yorkaise, masquée et silencieuse, rappelle les loges secrètes et les cultes interdits. Chaque image, chaque dialogue murmure une vérité que nous ne sommes pas sûrs de vouloir entendre.
Là où d’autres auraient filmé une enquête, Kubrick filme un envoûtement. La mise en scène millimétrée enferme Bill dans un monde où tout semble chorégraphié, comme s’il n’avait jamais eu le choix. Les plans sont lents, hypnotiques. L’ombre des néons new-yorkais, les couloirs déserts et les intérieurs bourgeois deviennent des limbes, un purgatoire silencieux où le spectateur flotte, perdu entre fascination et malaise.
La bande-son, entre les valses de Shostakovich et les accords dissonants de Ligeti, est un sortilège sonore. Elle n'accompagne pas l’image : elle la hante.
On peut voir Eyes Wide Shut comme un rêve d’adultère, une parabole sur le mariage ou une dénonciation des cercles de pouvoir. Mais comme tout chef-d’œuvre, il refuse les explications faciles.
Car Kubrick n’a pas fait un film : il a dressé un miroir. Un miroir où chacun projette ses propres fantasmes et angoisses. Qui est réellement aux commandes ? Qui observe, qui manipule ? Peut-on jamais savoir la vérité… ou vit-on tous, comme Bill Harford, les yeux grand fermés ?