De la même manière que The Place Beyond the Pines brossait un portrait de la corruption sur trois générations – la génération du Père, celle du Fils et celle de l’Esprit –, Face à la Nuit pense le triptyque comme une forme-sens apte à révéler, par l’enchâssement des récits et des temporalités, une lente dégradation des valeurs humaines marquée par trois chocs majeurs et décisifs qui font basculer le héros de la lumière qui enveloppe sa balançoire à la nuit sans perspective de jour. Le choix d’une narration à rebours, partant de la noirceur du monde adulte pour remonter à la clarté d’une candeur initiale, tend à placer le film sous le signe de la fatalité : comme dans les tragédies grecques, l’issue est connue, et c’est alors moins la clausule qui intéresse le spectateur que les différentes étapes nécessaires à sa réalisation, soit un recentrement sur la mécanique du drame, sur l’inéluctabilité de cette contagion du bien par le mal. Aussi les propos de la mère – « deviens quelqu’un de bien, pas comme moi » –, parce qu’ils tombent trop tard, révèlent-ils l’inanité de la parole, son incapacité à mettre en œuvre les îlots d’espérance qu’elle laisse entrevoir : partir, prendre la route sur le scooter, manqué… ; payer, prendre du bon temps dans l’illusion de l’épouse retrouvée, trompeur… ; dire adieu à sa mère avant la séparation, trop tard...


Le personnage principal ne réussit pas à s’affranchir de ce cordon ombilical qui le raccorde, malgré lui, à la faute et à l’absence ; d’enfant, il devient un corps réceptacle de la corruption de la société, allant jusqu’à causer sa perte par détresse affective. Les âges filent, les modes remontent dans le temps, mais la tache demeure. Cette tache de naissance que l’on trouve sur la nuque du héros. Cette même tache que la fille a fait disparaître par intervention chirurgicale, préférant le marquage technologique à l’identité naturelle. La tache contre la puce électronique, les rides qui creusent un visage usé par la vie contre le sérum hors de prix qui enlaidit des visages soucieux de recouvrer leur jeunesse fanée. La tache et les dynamiques de destruction du destin de notre protagoniste principal se recoupent en ce qu’elles touchent du doigt ce besoin d’un vivre-ensemble au cœur d’un monde désuni où règnent divorces et violences, adultères et prostitution légalisée. Le film est ainsi composé d’un sursaut existentiel et libertaire différé dans le temps, comme saisi en échos et qui, en remontant à l’origine de tout – une mère et son enfant – saisit le spectateur aux tripes, le confronte à cette simplicité dépourvue d’artifice et comme maintenue à l’écart du mal. L’âge d’or, qui n’est plus qu’un lointain et vague souvenir que se remémorent, entre deux insultes, une mère et son fils.


Porté par une partition onirique signée Rob (on y entend quelques échos notables à Interstellar de Hans Zimmer), Face à la Nuit est un magnifique polar sino-taiwanais qui a l’intelligence de son propos et de sa forme. À voir absolument.

Fêtons_le_cinéma
9

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le 21 janv. 2020

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