Feux croisés
6.7
Feux croisés

Film de Edward Dmytryk (1947)

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Avec un beau panel de stars, dont Robert Ryan, presque aussi bon que dans The set-up et en tous les cas avec la même force de frappe, incarnant ici un militaire traumatisé ne sachant comment expier sa haine, Dmytryk réalise un film noir assez original, car il y traite, la même année que Le mur invisible de Kazan, et très peu de temps après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la question de la tolérance envers l’autre, plus précisément le juif, (et non plus l’homosexuel, comme il s’était agi dans le livre de Brooks dont il est l’adaptation). Avec comme personnages des militaires vivant en temps de paix depuis peu, et donc perdus, égarés, ne sachant comment redonner du sens à leur vie, désormais sans ennemi à combattre ni femme à aimer, condamné à l’inaction et à l’attente, coquilles vides qu’ils remplissent d’alcool autour d’un ennui tenace, à l’image du personnage campé par Robert Mitchum, le Sergent Peter Keeley, désabusé et presque cynique, Crossfire place en arrière-plan une ambiance de guerre en suspens à la Julien Gracq qu’un meurtre et l’intrigue de film noir viennent troubler.

Concernant l’enquête, au centre du film - plus que le discours sur l’antisémitisme, sorte de caution morale dont Dmytryk se sert maladroitement - mais qui lui a tout de même valu le prix du meilleur film social à Cannes - comme le démontre la harangue finale, très didactique, du capitaine de police Finlay, et plus que le regard compatissant sur les rescapés de la guerre - un suspect se détache assez vite, ce qui nuit partiellement au suspens, mais ne le phagocyte pas pour autant. Usant de ruse pour cerner et arrêter habilement son suspect, qu’il descendra sans hésiter d’un tir dans le dos alors qu’il s’enfuyait, Finlay opère quelques circonvolutions avant d’arriver à ses fins. Dmytryk respecte parfaitement les codes du film noir en termes d’éclairage, de clair-obscur, d’ombres nocturnes, à l’image de la scène liminaire, celle du crime, petit bijou aussi mystérieux que bizarre, rappelant vaguement Blue Velvet de Lynch, avec cette femme aux cheveux bruns bouclés comme Isabelle Rossellini, assise, coite et hagarde, face à ce déferlement de violence gratuite. Aussi mystérieuse et fascinante est le personnage de Ginny Tremaine, prostituée et étrangement mariée, incarnée par une Gloria Grahame dont la danse sensuelle et toute en retenue aura sans aucun doute influencé sa nomination aux Oscars.

6,5/10

Marlon_B
7
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le 22 févr. 2024

Critique lue 3 fois

Marlon_B

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