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Si les films de guerre sont légion, rares sont ceux à dévoiler le contrecoup immédiat d’un champ de bataille. La plupart ne s’attarde pas sur les ruines. Une fois la charge terminée, ils s’en vont directement aux scènes de victoires, aux libérations, aux liesses brandissant fièrement drapeaux et étendards. Quand d’autres, moins ostentatoires, divulguent les résolutions secrètes d’état-major ou le recueillement d’êtres en deuil.


Mais après la tempête, lorsque le silence recouvre la terre consumée, que les hommes sont tombés, que les cadavres s’amoncellent, que deviennent ceux, encore vivants, qui restent englués là ?


Nobi ou les Feux dans la plaine en français, retrace le destin des soldats abandonnés. En l’occurrence des troupes japonaises, dans l'archipel des Philippines à la fin de la seconde guerre mondiale, prises en tenaille entre les guérilleros autochtones et les régiments américains.


Ces hommes éparpillés, comme jetés au gré des explosions errent sur l’île. Ils ne peuvent plus compter sur personne. La débâcle a cassé les rangs, fait volé en éclat la hiérarchie militaire. Certains gradés tentent, avec zèle et malice, de tirer profit du peu de supériorité qui leur restent. Les autres se répandent en injonctions absurdes, bringuebalant les blessés d'une position à une autre. Le chaos est total.


De plus, l’isolement interdit une hypothétique retraite vers le Japon. Les soldats sont démobilisés de fait, en proie à la faim, forcés au cannibalisme. Ils marchent péniblement sur les crêtes des vallées insulaires comme sur celles de leur conscience. La folie guette l'homme qui chancelle. Mais ils souffrent trop pour mourir, la mort requiert un abandon progressif, une lassitude à la souffrance, eux murmurent encore de faibles complaintes entre deux pas absorbés par la jungle infernale des Philippines.


Kon Ichikawa choisit de montrer cet état presque transitoire, entre agonie et extinction où les hommes se meuvent plus par réflexe que par volonté. Leur instinct de survie dicte le chemin à prendre. Il a remplacé le cerveau, atrophié, bouilli à force du feu nourri et ininterrompu des coups de fusil sur le front de la guerre. Ce sont bien des morts-vivants qu’il filme. Un au-delà de l’humanité, putréfié à jamais, condamné à l’égarement éternel. De la guerre, ne peut en découdre que la mort et la perdition semble nous dire le réalisateur japonais. Sa démonstration est probante, rarement un film post-guerre n’aura suinté autant le dégoût et la désolation.



Là où passe mon cheval, l'herbe ne repousse pas



s'enorgueillissait le terrible Attila.


Sur la terre des Philippines, malgré la luxuriance des forêts de lianes et de plantes tropicales, le sol n'est qu'un gigantesque ossuaire. Les feux, modestes balises ne symbolisent rien sinon un maigre espoir. Elles résultent de la consumation lente d'un monde malade. Des lanternes, incandescentes veilleuses dans une bien morne plaine.

Liverbird
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le 1 sept. 2017

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