Sinon deux documentaires, Godard n’avait pas délivré de long-métrage depuis 2001 et son Éloge de l’amour. Connu pour Pierrot le fou, A bout de souffle et Le Mépris, le cinéaste est devenu plus confidentiel dès les années 70, continuant à être suivi par une poignée d’adorateurs. Son œuvre s’est faite toujours plus expérimentale et isolée, devenant incompatible avec une large exposition, au point que ce réalisateur au nom si connu est devenu un fantôme non seulement pour le grand-public mais aussi pour la majorité des cinéphiles. Film Socialisme, sorti en 2008, a connu un certain retentissement, à sa petite échelle, grâce à la presse culturelle le relayant largement. Godard réapparaît alors pour un spectacle absurde à tous les degrés.


Le socialisme, serait-ce se palper le menton sur la marche du monde, tout en faisant de la merde sur son paquebot ? Voilà en tout cas le socialisme actuel pour Godard et la vocation des socialistes, en tant qu’intellectuels, militants ou même aspirants. Le film rassemble les idées travaillant Godard, qui ne changeront pas dans les années à suivre au vue de son testamentaire Adieu au langage de 2014. Godard évoque notamment l’Europe et étale son amertume. Il en fait un fétiche des salauds contemporains en répétant que les salauds sont sincères aujourd’hui. Dialoguant avec ce cynisme, il trace plusieurs grands constats : d’abord, le socialisme a gagné comme tous les grands perdants marquant l’Histoire.


Il a gagné en contaminant les esprits, même s’il a échoué concrètement et politiquement. Ce socialisme victorieux est cependant celui de la consommation et du divertissement, celui de la bassesse et des médiocres. Le monde est un espace géant désenchanté et grotesque (l’est-il devenu?), mais rempli de gratifications variées ; selon Godard, dont les intuitions sous le dégueulis sont parfois plus que valables. Ensuite, Godard refile à ses personnages quelques saillies attirant la curiosité, des embryons de discours : « ce qu’on fait est pitoyable : on distribue, alors qu’il faut produire ; avant on savait produire ». Les propos circulant seraient facilement assimilés à des laius de bistrots, s’il n’y avait pas le contexte – les gens y voient principalement de l’intelligence cryptée, une farce arrogante quitte à s’échouer comme un nanar outré.


Enfin Godard mise sur le rêve : les rêves socialistes ont gagnés, pour de moche c’est vrai, mais le rêve en ressort bien conforté, c’est une dynamique valide ! Alors, en marge de ses délires opaques sur l’islam, il fantasme sur la Palestine et la réconciliation des peuples, il prend des apparats mystiques tout en restant évasif, comme tous les illusionnistes perdus dans leur idéalisme incertain, parfois plus soucieux de singer l’idéalisme que véritablement en marche. Le chaos se déverse en deux temps, le premier étant celui de la croisière (le socialisme de la consommation, le socialisme des imitateurs vulgaires de l’extase et du développement), le second un reportage de FR3 Régions (c’était déjà France3 et non ‘F-R-3′ à l’époque) sur une famille tenant une station d’essence. Des monologues sont perdus là-dedans, parfois valant le coup, la seconde partie en abonde.


À sa sortie Film Socialisme divise beaucoup, mais reçoit des éloges et en particulier chez les critiques officiels, ceux des Inrocks, des Cahiers, etc, mais là encore en poussant un bon nombre à rester froid ou prendre des distances. Il y a de quoi jauger Film Socialisme comme un pur foutage de gueule et se braquer est légitime, d’ailleurs le film ne mérite pas mieux. S’il est une belle représentation d’un socialisme gâteux et dégénéré, il discourt laborieusement. Entre les phrases byzantines débiles, les emprunts et les citations, Godard lui-même ne semble trop savoir ce qu’il a à dire. En tout cas, il nous laisse parler d’un film où se glisse une conversation de chats, reprise par une jeune fille derrière son écran.


C’est drôle parfois (rarement), parce qu’il y a un gag intrinsèque à une scène, un autre ; mais ce n’est pas hilarant comme Adieu au langage. C’est le fruit d’une démarche paumée : Adieu au langage en est une en lui-même, active, si bien que le résultat est une énorme farce, une abomination et une délectation inouïe à la fois, aimable véritablement que si l’odeur de mort la plus pestilentielle et scatologique nous excite. C’est une performance impressionnante même si elle est exécrable. Film Socialisme, lui, souffre de subir son lâcher-prise sans déjà s’y être identitifié pleinement. Il a peu de liant, sauf dans les »idées », mais quelques scènes avec leur cohérence propre ou tendant vers un surréalisme rigolard (le vieillard et le gamin). C’est encore trop limpide, la logique est encore bien trop fabriqué, elle est nulle mais voyante et donc son éclatante nullité est gênante.


Autrement dit, on voit que c’est misérable, sans que cela devienne un trip. Adieu au langage lui marque une acceptation de la liquéfaction intégrale d’un être et du monde entier, en tout cas tel qu’il veut le voir, corrompu par la conscience. Il sera donc beaucoup plus drôle et accompli sur la mise en scène. Pour Godard il s’agira alors de faire de la merde, mais à fond, de la merde épileptique. Film Socialisme est assez dépaysant et modestement marrant, mais il apparaît rétrospectivement comme le germe fébrile et bloqué d’une excroissance malade (« un jour viendra où la langue se retournera contre ceux qui la parlent »), ce qui double alors son caractère minable d’un constat d’échec – un peu comme si un terroriste ratait son coup fatal à cause de l’indécision. Ça pourrait n’être que le happening d’une ancienne gloire venant de découvrir la caméra sur smartphone.


http://www.senscritique.com/film/Adieu_au_langage/critique/42639187
http://zogarok.wordpress.com/2014/12/07/adieu-au-langage/
http://zogarok.wordpress.com/tag/jean-luc-godard/

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le 6 déc. 2014

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Zogarok

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