La conscience c'est de la merde, la vie c'est pas pour nous

Bien sûr avec ce synopsis halluciné (un couple, leur chien, celui-ci trouve la parole) on s'attend à un OCNI bien troussé, au minimum de la trempe d'un Otesanek ou d'un Ricky. Mais c'est bien plus singulier et WTF que ça. Adieu au langage c'est le caca guère délicieux de l'homme qui s'en va. Il quitte le monde et largue tout ; il renonce ; à quoi bon le sérieux, l'intelligence, à quoi bon être, vouloir, et puis pourquoi seulement faire. Mais il fait quand même car il est otage de la vie, encore un temps – d'ailleurs qui oserait l'arrêter, le meurtre n'est pas une option valide dans cette société, même pas pour régler le chômage.


La performance se caractérise par un montage hystérique, où Godard lance des saynètes pour les couper aussitôt ou en pleine montée. Certains usages de Film Socialisme sont ré-employés (le rapport aux cartons) et exacerbés, poussés à un point dément au sens premier. Godard joue plus que jamais avec le son. Tout le film ressemble au délire empoissonné d'un amateur averti et bidouilleur fou. Des bouts d'incantations mystères ou métaphysiques, des demi calembours, partagent la place avec des phrases voir parfois d'assez longues monologues intéressants, glissant des idées importantes. Les citations d'auteurs (Artaud surtout) abondent, toujours plus, pour accompagner le collage de rushes gâteuses.


Une façon policée et appropriée de contempler Adieu au langage serait de le regarder comme un vieux se chiant dessus et agonisant dans ses déjections, tout en gueulant les bribes de sa mémoire et de son intelligence ; les dernières giclées de son élan vital en pleine extinction. Les gens sur-analysant cette merde au sens parfois tout à fait littéral sont donc doublement dans le vice : d'abord ils adoubent la laideur et la dégradation, ensuite ils pratiquent l'intellectualisme dégénéré au sens objectif. La haine des intellectuels et le refus du sabotage de l'esprit humain se retrouvent dans le même camp, nargués par ce film impudent.


Il fait également la pute pour les stricts branleurs, tout en montrant ouvertement que les efforts de l'esprit et du mental sont des flatulences impuissantes, face à toutes les vérités que l'on voudra et à la condition d'être vivant. Or des gens applaudissent un mourant en train de les informer sur son état et les incitant, non pas à se détourner, mais à se réveiller. Et eux ne font que savourer l'audace qu'ils supposent ou décrètent abondante d'intelligence, alors qu'au contraire Godard vient littéralement de chier sur l'écran en décrétant que l'intelligence telle que nous la concevons, l'intelligence propre aux hommes, est une fadaise, un mirage.


On ne s'ennuie pas du tout devant Adieu au langage, car pendant soixante-neuf minutes le foutage de gueule et la mongolerie atteignent un stade olympique. C'est souvent hilarant et en un sens subjuguant. Film Socialisme, le précédent long-métrage de Godard, amorçait cette virée vers le carnaval de mort épuisé et son style aberrant avait déjà déconcerté et était tenu pour certains, à juste titre, comme une pure arnaque. Mais cet espèce de montage sordide était une bagatelle par rapport à Adieu au langage. Celui-ci exprime peu de nouvelles idées ou références, mais marque par son engagement formel, sa vigueur trollistique stratosphérique.


Film Socialisme était pesant et minable, tout en étant traversé d'affirmations et slogans sachant interpeller ; Adieu au langage est un monstre obèse et dégueulasse, il abandonne la logique ou même un début d'esquisse, au mieux il la prend en considération pour lui faire la nique dans un grand opéra dirigé par un trisomique malade et heureux. Pierrot le fou était une connerie sidérante, mais ce n'était qu'une bullshit vaniteuse ; ce film-là est ouvertement et de A à Z une insulte à la raison, au cinéma, au spectateur et plus encore à tous les efforts de l'Humanité pour se comprendre et agir sur elle-même. Le chien est le héros du film.


L'Homme à côté de la plaque à cause de sa conscience, c'est une vraie idée. Des instincts les plus chiqués et pédants en free-style, où le pourrissement l'emporte sur le maniérisme, viendra l'illumination et la délivrance ? En recevant le Prix du Jury à Cannes, Adieu au langage se consacre comme sodomie métaphorique de grande ampleur, bien que soutenue par un gode foireux (et d'autant plus pour cette raison!). Il serait temps de retourner vers Bunuel et sa complaisance assassine quant à la bourgeoisie en fin de carrière, en confrontant à nouveau Le Fantôme de la Liberté ou même Le charme discret. Il faudra aussi penser à revaloriser Costes et ses travaux 'cheap' et underground depuis près de vingt ans.


http://zogarok.wordpress.com/2014/12/07/adieu-au-langage/

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le 6 déc. 2014

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