Après Whiplash et Babylon, deux films aussi différents que brillants, je suivrais Damien Chazelle au bout du monde, même s'il nous faisait un long métrage de Peppa Pig avec Shia LaBeouf dans le rôle titre. Dans ces conditions, l'idée d'un biopic sur Neil Amstrong ? Ce n'est ni le sujet ni la période qui m'excitent le plus, mais allons-y !
En lançant First Man, j'avais trois craintes :
■ Que le film soit chiant et sage, à l'étroit dans les contraintes de la fidélité historique.
■ Qu'il s'embourbe dans un patriotisme nauséabond pour flatter son audience avide de suprématie américaine.
■ Qu'il omette ou diminue le rôle de l'URSS dans la course à l'espace, ou diabolise les méchants espions coco.
Heureusement, rien de tout ça ne s'est avéré fondé et j'avais raison d'avoir une foi indéfectible dans les talents de conteur et de metteur en scène de Chazelle, sa maîtrise du drame humain et de la tragédie intime. Foi en Gosling aussi, pour interpréter un Amstrong tout en finesse, et aux silences éloquents.
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Parce que la conquête de l'espace, Damien s'en bat les reins. Le vrai sujet de son film, c'est cet homme brisé et mort à l'intérieur, tué par le décès de sa fille et le vide impossible à combler qui le possède depuis lors. C'est cet homme qui hante presque toutes les scènes avec un mutisme obstiné.
Ce parti pris se ressent à bien des niveaux, du script à la mise en scène. Par exemple, toutes les scènes de décollage, d'alunissage et autres péripéties spatiales sont filmées depuis l'intérieur de l'habitacle, ce qui va à l'encontre de l'habituel sensationnalisme des images léchées de vide étoilé et d'astres éblouissants.
Au lieu de ça, on a un gros plan sur le museau suant d'un astronaute qui serre très fort les fesses en espérant que les boulons de sa fusée vont arrêter de se dévisser quand il se sera arraché à l'attraction terrestre, que ses réserves d'oxygène ne vont pas s'enflammer, et qu'il ne va pas s'évanouir trop tôt sous l'effet de l'accélération ou des rotations de son engin en perdition. C'est terrifiant, immersif, et cela sert indiscutablement le propos de l'oeuvre.
Ces séquences oppressantes sont renforcées par une direction sonore phénoménale, tout en grincements, raclements et halètements fébriles. On ressent parfaitement la magnifique absurdité d'être allé dans l'espace avec la technologie balbutiante des années 60, où tout semble tenir avec du scotch, et les ingénieurs s'émerveillent quand une opération ne se solde pas par un désastre total.