« Forrest Gump », c’est d’abord un mythe. Deux citations accrocheuses, restées durablement dans la culture populaire. Six oscars, dont quatre statuettes parmi les cinq "majeures". Pour Tom Hanks, c’est sa deuxième récompense consécutive, un record qu’il ne partage qu’avec le grand Spencer Tracy. C’est aussi un héritage durable : le film est inscrit, en 2011, au patrimoine de la Bibliothèque du Congrès, qui conserve les œuvres "culturellement, historiquement ou esthétiquement importantes". C’est enfin – et ce point de vue est évidemment très subjectif – l’un de mes films préférés.


Forrest Gump naît en 1945 dans la petite ville de Greenbow, Alabama, dans le sud des Etats-Unis. Durant le film, l’on s’intéresse à la vie de cet homme, qualifié de simplet, sur une période d’une trentaine d’années : de sa jeunesse dans les fifties à la moitié des années quatre-vingt. Le thème du temps qui passe est par ailleurs très important ici. Les nombreux repères temporels qui jalonnent le film permettent à la fois au réalisateur d’annoncer les transitions entre les différentes époques de la vie de Forrest, et de rendre hommage à l’histoire américaine. C’est l’un des leitmotivs du film : la participation souvent involontaire de son héros à des évènements marquant de la seconde moitié du XXe siècle aux Etats-Unis.


À l’ouverture du film, une petite plume blanche virevolte dans une rue d’une ville américaine, chahutée par le vent, soufflée par l’énergie des véhicules. Elle finit par s’arrêter aux pieds d’un homme en costume qui attend un bus. Celui-ci la ramasse délicatement et la range soigneusement dans son bagage, qui contient ses possessions les plus chères. Il se tourne ensuite vers sa voisine, et, pour lancer la conversation, entreprend de lui conter l’histoire de sa vie. Le film prend une allure de faux biopic, parfois muni d’une voix off, afin de revivre trente ans d’histoire américaine au travers des yeux de son personnage, Forrest Gump. La symbolique de la plume, de prime abord, constitue une illustration parfaite de la vie du protagoniste : un être doux et léger, qui s’est laissé porter, mener tout au long de son existence.


Le film est bâti sur les faiblesses de Forrest Gump, qui sont mises en avant, bien plus que ses forces. Le personnage est, d’ailleurs, caractérisé par cette "simplicité" intellectuelle qui lui vaut les railleries de son entourage. Le parcours de Gump, plus riche qu’il n’y paraît, constitue alors un genre de récit initiatique, durant lequel l’on assiste à son évolution. L’idiot du village surmonte les obstacles, en dépit de son apparente fragilité, et, étape par étape, petit bout par petit bout, conquiert finalement son bonheur. C’est, d’ailleurs, peut-être l’image du "rêve américain" poussée à son paroxysme.


Evidemment, la destinée de Forrest Gump est franchement irréaliste. Ses rencontres avec des célébrités réelles et les différents statuts qu’il occupe progressivement constituent autant de jalons marquant son irrésistible progression vers l’avant. À cet égard, il me paraît plus pertinent de considérer « Forrest Gump » comme un genre de conte – voire de conte merveilleux – où Gump est une sorte de héros invincible. Le ton du film, souvent très détaché et ironique, corrobore cette idée : drôle de conte, que celui dont le personnage principal est un idiot ! Forrest Gump ne demande d’ailleurs à personne de le croire : ses aventures composent une histoire – rien de plus.


Ce n’est en aucun cas préjudiciable, ni au film, ni à l’évolution et au parcours de Forrest Gump, beaucoup plus riches qu’ils ne pourraient paraître. Il y a, en effet, un réel sentiment de progression au cours du métrage. Si, dans un premier temps, le personnage se laisse porter par les évènements, suivant le cheminement classique de l’américain moyen – lycée, football, université, armée, Vietnam –, par la suite, Gump se montre beaucoup plus volontaire. Il était auparavant spectateur de sa propre vie, qu’il voit, en même temps que le spectateur, défiler devant ses yeux. Les années passant, le héros achève sa métamorphose, devient maître de ses actes et trouve, finalement, sa place dans la société. L’on peut d’ailleurs tracer un parallèle avec les vidéos d’archive qui apparaissent régulièrement au cours du film. Dans les premières, Gump y apparaît emprunté, et agit comme s’il était invisible aux yeux des autres personnages. Au cours du film, ses apparitions gagnent de plus en plus d’importance, il se met à interagir avec les autres acteurs, jusqu’à devenir le centre de l’attention. On pourrait presque le considérer comme un personnage issu d’un conte qui se serait égaré dans la vie réelle…


Si Forrest est déconnecté de la réalité qui l’entoure, les personnages secondaires qu’il rencontre au cours de ses expériences en incarnent, quant à eux, les différentes facettes. L’on s’intéressera plus particulièrement à deux d’entre eux : Jenny, bien sûr, et le lieutenant Dan (il y a aussi Sally Field, l’une des actrices les plus mignonnes des seventies, mais son rôle est assez réduit). Contrairement à Forrest, ils ont leurs doutes, leurs démons et leurs peurs. Ils sont, en un sens, plus humains, et donc, particulièrement touchants. Ils contribuent, pour une grande partie, au charme de ce film…


Au fil de mes découvertes cinématographiques, je me rends compte que j’éprouve une tendresse particulière pour les personnages un peu "minables", ces ratés (au sens de la société) un brin marginaux. J’apprécie leur façon d’évoluer : ce sont des battants ; ils encaissent les coups durs et continuent d’avancer. Leurs destinées, parfois pitoyables, souvent tristes, sont généralement bien plus hautes en couleurs que celles des grands héros. Et, par-là, presque toujours plus émouvantes.


Ici, nos personnages touchent au sublime. Robin Wright, encore toute jeune, est aussi magnétique en 1994 dans le rôle aussi tragique que passionnant de Jenny qu’en glaciale et manipulatrice Claire Underwood dans « House of Cards ». Son personnage est peut-être le plus important du film : Jenny est la seule – et suffisante – raison d’être de Forrest. C’est le personnage dont le destin est le plus touchant.
Enfin, le lieutenant Dan, immortalisé par un Gary Sinise exceptionnel, complète le trio. Sinise, qui fut récompensé à juste titre d’un Oscar du meilleur second rôle, livre une prestation magistrale. Grinçant et cynique, là où Forrest Gump est un doux rêveur, le lieutenant Dan lui fournit un contrepied parfait. Leur duo fonctionne alors, comme souvent au cinéma, sur l’opposition des deux personnages. Leur alchimie se manifeste tout particulièrement lorsque le film tient plus du registre de l’humour, ce qui donne lieu à quelques scènes jubilatoires.


« Forrest Gump » c’est un mélange de plein d’éléments, qui peut parfois se révéler un peu indigeste, je ne le nie pas. Toute la partie jusqu’à la fin du Vietnam n’est pas forcément hyper passionnante. Mais je trouve que cet ensemble, ces personnages et cette histoire forment un tout assez prodigieux, qui s’accorde finalement merveilleusement. Pour reprendre l'une des métaphores les plus connues du film, au final, c'est un peu une boite de chocolats où chacun pioche ce qu'il préfère.
J’aime tendrement ces marginaux, Gump, Jenny et Dan, qui, malgré leurs défauts et leurs faiblesses, ne baissent jamais les bras, se battent, évoluent. J’aime la simplicité et la poésie de cette dernière demi-heure, que je trouve toujours absolument envoûtante : la conclusion logique, amenée par tous les évènements passés, touche à la grâce. J’aime aussi la forme, la technique, tout l’enrobage que donne Robert Zemeckis à son film. Outre la musique – c’est une évidence – il y a aussi toutes les images d’archive, où les incrustations de Tom Hanks sont parfaitement réussies et toujours aussi savoureuses. J’aime que le film ne se prenne pas au sérieux, et conserve, tout au long de ses deux heures vingt, une légèreté et un humour réjouissants.


J’ai vu « Forrest Gump » pour la première fois lorsque j’étais en prépa, c’est-à-dire, quelque part entre 2009 et 2012…
À l’époque, j’aimais déjà le cinéma, et en particulier les vieux films, même si je n'en avais pas vu beaucoup. Alors que je m’attendais à quelque chose d’un peu idiot (la faute au "Run Forrest, run!"), j’avais déjà été tout chamboulé par ce film magnifique. Des années et quelques centaines de films plus tard, je constate avec plaisir que le film n’a pas pris une ride, et conserve encore, à mes yeux, son caractère magique. Certains pourront trouver le film "facile" ou "tire-larmes", et ces reproches ne seront pas tout à fait infondés. À ceux-là, je répondrai comme l’un des personnages du film, que l’histoire est tellement belle, et si bien contée, alors, pourquoi s’en priver ?

Aramis
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le 6 avr. 2016

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