"Coach is the father. Coach is a mentor. Coach has great power on athlete's life."

Sport de contact, fin des années 80, USA vs URSS, derniers JO avant la fin de la guerre froide et consécutif aux boycotts des deux super-puissances en 80 et 84… Tout était réuni pour faire de "Foxcatcher", LE film d’action, rythmé, bourré de testostérone, binaire et atlantiste à souhait. Au final, subtilité et empathie l’ont emporté sur tout le reste.

Et c’est d’autant plus remarquable quand on connaît l’affinité entre l’un des plus anciens sports de l’olympisme et l’une des nations qui a su sublimer (jusqu’à l’excès) la notion de combat. La lutte, sport qui a failli ne pas passer le cut des épreuves retenues pour les prochaines olympiades d’été (congrès de 2013) a connu une mobilisation sans commune mesure avec Vladimir Poutine, Donald Rumsfeld, Mahmoud Ahmadinejad, un match USA-Iran comme "arguments" pour voir le CIO maintenir la lutte comme sport olympique.

De fait, "Foxcatcher" démontre comment les Etats-Unis investissent (au sens propre et figuré) un sport (la lutte ici) qu’ils n’ont pas codifié. Les exemples sont pourtant légions : "soccer", tennis, boxe, lutte donc, ski. Et là où la France s’inscrit dans un cadre "fédéral" (maillage essentiel), étatique voire associatif, les Etats-Unis délaissent ce côté un peu trop bureaucratique. Après un échelon "universitaire" (dénoncé aujourd’hui comme gangrené par un mercantilisme malsain), vient se greffer ligue privée, académie privée... L’Académie de Tennis Bollettieri pour le tennis, le summer camp Nike pour le basket sont autant d’exemples que l’on pourrait résumer à une sainte trinité : rendement (dans les joueurs formés), la victoire et le business. "Foxcatcher" s’inscrit dans cette logique : celle d’une mise à disposition à des sportifs de haut niveau de moyens financiers et sportifs pour atteindre des objectifs sportifs précis.

En mettant en lumière les personnages de John Du Pont et de la fratrie Schultz, "Foxcatcher" illustre la dualité propre aux américains face au sport. Ce dernier est un pouvoir redoutable pour démontrer la puissance d’un pays sur l’échiquier mondial (de surcroît dans le contexte où se déroule le film), un vecteur médiatique public conséquent (et donc générateur de revenus et pouvant servir pour véhiculer des idéaux), une manière de décupler le sacro-saint patriotisme mais est surtout…une question d’initiative privée. La lutte, comme beaucoup d’autres sports aux USA, souffre du dénigrement permanent de sa fédération de tutelle au profit d’initiative(s) privée(s). Et c’est l’un des thèmes central de ce long-métrage. Comment définir la place du mécène dans l’ascension sportive d’un athlète voire même du sport qu'il finance?

En contactant Mark Schultz, John Du Pont sait ce qu’il va proposer : un chèque en blanc, des moyens et un suivi sans commune mesure pour un lutteur. En acceptant l’offre de John Du Pont, Mark Schultz sait qu’il aura des chances de défendre et d’obtenir un nouveau titre olympique. Mais de ce contact ressortira une situation quasi-inextricable entre intrusion d’éléments extra-sportif, affectif et impératif financiers au moment d’établir un programme sportif de haut niveau.

De contact en familiarité, "Foxcatcher" bascule ensuite dans une forme d’intrusion malsaine, sorte d’infantilisation mélangée à un paternalisme ambigu. En jouant sur les "clichés" inhérents au sport de contact, cette forme de virilisation à outrance, "Foxcatcher" suggère sans pour autant déballer de manière vulgaire les habitudes d’alors de John Du Pont : d’anciens pensionnaires témoigneront par la suite d’abus sexuels, d’une véritable cour envers des athlètes aussi choyés que voués aux gémonies pour des raisons aussi puériles qu’insensées.

Là où le film aurait pu magnifier ce malaise jusqu’à la caricature, Bennett Miller choisit un rythme plutôt lent, des plans presque à contretemps par rapport à ces variations. En insistant sur le chemin à parcourir pour parvenir à des échéances prégnantes, certes le film perd en attractivité mais gagne en épaisseur, démontrant la somme de travail nécessaire pour parvenir à une qualification olympique.

Cette nervosité, cette énergie est plus interprétée que montrée. Et le mérite en revient à un casting impeccable au premier rang duquel on trouve Channing Tatum. Face à son mal-être inhérent aux années 80 (ultralibéralisme ambiant, manque de reconnaissance, exigence d’un sport en inadéquation avec son mode de vie "amateur" cf ces deux scènes de malbouffe mémorable), Channing Tatum n’a qu’une seule réponse, la victoire. On pourrait dire qu’il en paye le prix fort. Néanmoins la concordance entre sa situation et l’offre de John Du Pont est aussi la rencontre entre un sportif dyslexique qui verra dans son mécène un père de substitution. Steve Carrell déploie une palette de sentiments assez inédite, entre manque de reconnaissance familiale et démesure rédhibitoire. Sa soif de contrôle, de maîtrise de ce qu’il finance, de l'image qu'il projette sidère mais trouve un écho assez différent au moment où est évoqué sa relation avec sa mère.

En liant par un contrat et par l’argent deux figures mal-aimées par leurs familles respectives, "Foxcatcher" souligne la trajectoire prise par les deux protagonistes : là où la revanche aurait été un moteur, Schultz et Du Pont préfèrent le contact permanent, nocif et (auto-)destructeur. Et cette exclusivité a un ennemi tout trouvé, Mark Ruffalo en l’occurrence. Tantôt l’éminence grise de son petit frère, l’entraîneur réduit au rang d’assistant pour les besoins d'un clip promotionnel, tantôt père de famille aimant, Dave Schultz est l’essence même de ce que semble exécrer (malgré eux) Channing Tatum et Steve Carrell. Mais plutôt que d’être frontal, Dave Schultz évite les contacts et saura faire preuve de rondeur. Cette douceur, cette bienveillance mal interprétée et ce sens tactique hors-pair sont portés par un Mark Ruffalo brillant.

Et la fin du film d’apporter une réflexion (prophétique ?) sur l’attrait des américains face au sport de contact. Jadis friands des arabesques de Casius Clay, de la dextérité de Sugar Ray Leonard, spectateur invétéré des facéties de Mike Tyson, d’Hulk Hogan, voilà que boxe et autres sport de combat/contact sont devancés par l’UFC, tant en audience qu’en notoriété. Un peu comme si cette fois le combat s’était déplacé sur un autre terrain, celui du sensationnel, de la redéfinition de la catharsis, du spectacle, de l'engagement le tout bien sûr sous le haut-patronage de l’argent (cf. notamment les sommes brassées par l’UFC aux Etats-Unis).
RaZom
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le 30 janv. 2015

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RaZom

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