C'est une ombre menaçante qui s'étend sur nous, tel un Ectoplasma se cachant dans l'obscure silhouette de l'individu qu'il traque.
C'est une main invisible et ténébreuse, passant au travers de la cage thoracique pour mieux empoigner le palpitant, contrôlant la respiration et les mouvements du malheureux, ne le laissant partir qu'une fois le générique fini.

Le film de Bennet Miller est malsain et oppressant, aux intentions troubles et à la mise en scène désincarné. On a beau avoir été informé en début que film qu'on assistait à une histoire vraie, le réalisateur nous met face à un produit aux couleurs froides, un univers contemplatif et distant, ou chaque action semble être emplie d'une profonde tristesse.
Cette mise en scène est à l'image de ses personnages, en dehors de toute réalité, vivant dans le microcosme américain qu'est le ranch Foxcatcher, tentant sans cesse d'atteindre un idéal qui leur échappe, bien aidé par une ambiance sonore mettant en abîme leur solitude et leur fureur intérieure.

Mais c'est là que se révèle tout le sublime paradoxe de Foxcatcher. Si le film est filmé avec une froideur incroyable, Miller a su capter le mouvement de ses comédiens comme jamais. Le proverbe “un geste vaut plus qu'un long discours” s'illustre parfaitement ici. Les comédiens sont en perpétuel mouvement, s'exprimant à la fois au travers des mots et de leurs impressionnantes masses. Les scènes de lutte sont magistralement filmées, les postures des comédiens sont sublimés. Chaque geste est lourd de signification, en témoigne la magnifique séquence d’entraînement des frères Schultz.
Mention spéciale aux trois comédiens. Channing Tatum semble porter toute la misère du monde, écrasé par sa solitude et l'aura de son frère. Steve Carell impose une présence angoissante et malsaine, sans cesse trouble dans ses véritables intentions, en témoigne sa posture raide et renfermé. Mark Rufallo, enfin, magnifique en frère aîné et mentor à dépasser, au dos voûté et à la gestuelle pleine de tendresse, le fessant ressembler à un vieux singe (c'est pas raciste, il est blanc).
Tout ce travail sur la gestuelle et le mouvement des comédiens contrastes avec cette mise en scène fixe et désincarné, donnant, d'une manière contradictoire, une sensation de réel incroyable. Une sensation qui ne fait qu'entretenir ce malaise constant.

Mais alors, face à tant d'éloges, pourquoi un “simple” 7, me direz-vous?
Eh bien, malgré tout ça, j'ai trouvé le temps long, me demandant souvent quand le générique de fin allait arriver. Le film possède un rythme particulier, fidèle à ses intentions et à son ton. Mais il aurait gagné à prendre plus de galon, casser ce rythme pour garder le spectateur en haleine.
C'est ce que je me suis dit en sortant de la salle de cinéma. Car après réflexion, n'est pas l'effet voulu par le long-métrage ?
Après tout, je me suis surpris, à plusieurs moments, à respirer voire même à bouger, chose pourtant naturelle. Je n'étais pas le seul dans ce cas-là, tant la salle semblait être suspendue dans le temps, en témoigne le petit cri effectué par une spectatrice au moment de “la baffe” (je n'en dirais pas plus).
Après tout, il est normal de vouloir échapper à un être, une chose qui nous empoigne jusqu’à en contrôler notre respiration.
Quoi de plus naturel que de vouloir échapper à l'oppression, aussi subtile soit-elle.

Bien joué Miller, bien joué.
Disiel
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Robe de chambre, thé et spéculos. Les films qui hanteront 2015. et Les meilleurs films de 2015

Créée

le 1 févr. 2015

Critique lue 350 fois

4 j'aime

Disiel

Écrit par

Critique lue 350 fois

4

D'autres avis sur Foxcatcher

Foxcatcher
Sergent_Pepper
7

Rétention du domaine de la lutte.

A qui tenterait de définir la patte d’un auteur sur son sujet, Foxcatcher a tout de l’exemple emblématique. Prenant à bras le corps un sujet ô combien balisé, il nous immerge sur les terres froides...

le 15 févr. 2015

71 j'aime

3

Foxcatcher
TheBadBreaker
5

Fox you !

Je n’attendais rien de Foxcatcher. Point de visionnage de bande annonce, point de lecture de résumé, pour mieux être surpris et apprécier l’œuvre, dont l’affiche m’attirait tout de même pas mal. Au...

le 21 janv. 2015

58 j'aime

6

Foxcatcher
Gand-Alf
8

Disturbing behavior.

Remarqué grâce à ses deux premiers films, "Truman Capote" et l'excellent "Moneyball", le cinéaste Bennett Miller s'inspire cette fois d'un sordide fait divers survenu au milieu des années 90, avec...

le 22 janv. 2015

51 j'aime

1

Du même critique

Destination finale
Disiel
6

Mais c'est la mort qui t'a assassinée, Marcia

Qu'on se le dise. La mort est une pute mal luné ne supportant pas l'échec et les imprévus. Alors, quand 7 personnes évitent un crash d'avion, elle le prend très mal et décide de les tuer un à un,...

le 1 mai 2014

11 j'aime

Le Hobbit : La Désolation de Smaug
Disiel
7

The Motherfucking Smaug

J'attendais principalement deux choses du film. Enfin, disons que c'est les deux seuls trucs pour lesquels j'étais curieux. C'était Smaug (parce que j'adore les dragons) et Barde (parce que j'aime...

le 12 déc. 2013

11 j'aime

5

Dallas Buyers Club
Disiel
8

La médecine pour tous

Il y a quelque chose d'assez étrange qui se dégage du film, ou du moins un aspect contradictoire qui est d'ailleurs à la base, selon moi, de tout le sel du film. Pour bien y arriver, résumons en...

le 28 janv. 2014

9 j'aime