« Framed » nous est présenté comme immersif, brutal et parfait pour commencer « en douceur » le Sadique Master Festival. On commence vite à comprendre que le si le film est « doux » pour le festival, il reste éminemment brutal pour le commun des mortels.


Reprenant les postulats du sous-genre de la « home invasion » (un groupe d’individus, bloqué dans une maison, subit les assauts d’un ou plusieurs attaquants sauvages) et saupoudré de torture porn, « Framed » présente une société où une nouvelle application obtient un succès massif. Du même nom que le film, l’appli propose, à l’instar d’un Periscope, de diffuser du contenu en live à des milliers de spectateurs avides d’images sordides. Pullulent alors, aux côtés des live à caractère sexuel, des retransmissions de violence et de sauvagerie pour satisfaire les pulsions morbides des utilisateurs. En Espagne, c’est un jeune excentrique qui propose à ses viewers le meurtre passionnel d’un mari adultérin au terme d’une scène complètement délirante où ledit mari passe plus de temps à parler de ses lunettes qu’à s’émouvoir de la situation.


Après cette scène introductive, générique sur fond d’électro-indus / synthwave musclée, et nous retrouvons dans une maison cossue un groupe de jeunes qui va tomber dans les pièges tendus par notre cyber-clown cynique. Très rapidement, l’étrange ambiance proposée par le prologue se confirme, rendant le film en même temps inquiétant et absurde, malsain et bourré d’humour noir. En témoigne la première victime du cyberharceleur qui, même avec un couteau dans le crâne, continue de se mouvoir et dont la lame coincée entre deux zones du cerveau la fait se comporter de manière ridicule (on pardonnera au réalisateur de ne pas être neurologue car le running gag fait son petit effet). À ce titre, les personnages ne vont jamais ignorer le surjeu et entretiennent ainsi le côté comique grotesque.


Toute la mise en situation reste assez bancale avec une mise en scène aussi subtile que mon genou. Jumpscares faciles pour faire monter la tension, musique beaucoup trop didactique et effets sonores ridicules alourdissent l’entrée dans le vif du sujet. Heureusement c’est le manque de sérieux et les situations à la limite du burlesque qui vont alléger le film et excuser les (très) nombreuses approximations.


Lorsque le rythme horrifique se met en place, le propos du film peut enfin pleinement s’exprimer. « Framed » se fait un énième film qui questionne l’aliénation et le voyeurisme des réseaux sociaux en soulignant toute l’intangibilité de la culture web et le fait que la réalité se confonde avec le virtuel. Rien de nouveau sous la webcam et je vous épargne le blabla habituel en me contentant de faire un bingo des mots et expressions à caser quand on parle du sujet : société du spectacle, abrutissement télévisuel, mort des médias traditionnels, télé-réalité, dépendance aux écrans, le virtuel est le nouveau réel, Black Mirror, dictature numérique, culture de l’égo.


Bien que le film s’étouffe rapidement avec les incohérences classiques du film d’horreur (les protagonistes se séparent sans aucune raison, leurs décisions sont irréalistes et leurs actions ridicules), la mise en scène tente de nouvelles choses et en réussit une bonne partie. La lumière et l’étalonnage notamment sont particulièrement bien maîtrisés avec un effet néon réussi sans être racoleur (et tomber dans la neonsploitation). Dommage cependant que le casting soit aussi inégal, entre le groupe de jeunes souvent faux et les antagonistes complètement hystériques – mention spéciale au grand méchant, sorte de Jim Carrey du mal. Un spectateur m’a fait remarquer que si le film naviguait toujours entre horreur et humour trash, c’était pour représenter l’inconstance des internets et que l’antagoniste incarnait de fait le troll du web, cruel, inconstant et sardonique.


Le final du film, alors que le live sadique atteint le record mondial de 30 millions de spectateurs, s’avère assez moyen et sage alors qu’il aurait légitimement pu pousser le délire un peu plus loin. « Framed » se conclut comme il s’est déroulé : avec des idées mais une mise en forme incomplète. Néanmoins, une sympathique mise en bouche.


Raton
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le 20 mars 2019

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