Dumont s'exporte
Dumont s'exporte et ça lui réussit magnifiquement bien. France est peut-être, malgré les apparences, le film de Dumont qui se rapproche le plus de ce qu'il pouvait faire avant P'tit Quinquin,...
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le 3 janv. 2022
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Satire du monde médiatique, le film traite de la fragilité du succès et de la crise existentielle du protagoniste et … du pays lui-même.
France de Meurs, superstar confirmée des médias français, qui ne craint pas de manquer de tact à l'égard du président du pays, ce qui, à en juger par les commentaires sur les réseaux lus par son assistante, lui vaut l'adoration du peuple français. La performance de Léa Seydoux est incomparable. Dans ses films, Dumont fait souvent appel à des acteurs non professionnels, et ce film ne fait pas exception, car parmi les acteurs se trouvent de nombreux journalistes, représentants de la profession même que le cinéaste français semble mépriser pour son cynisme. Il choisit les acteurs «en fonction de la coïncidence qu'ils peuvent avoir avec mon personnage», donc le choix de Léa Seydoux explique tout, c'est elle, si l'on en croit ses propos dans une interview, qui lui a donné envie de faire ce film. Et qui de mieux qu'une superstar pour jouer le rôle d'une superstar dans un film de Dumont ?
Il suffit d'un accident pour jeter une ombre sur sa brillante carrière. Une rencontre avec Baptiste, qu'elle renverse avec sa voiture, et sa famille d'immigrés l'immerge dans la dépression. Ce qui est remarquable, coïncidence ou non, c'est que le prénom Baptiste qui vient du grec ancien, signifie l'action d'immerger. L'accident et ses conséquences sont comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase après la popularité oppressante et le manque de temps pour la famille, qui fait que son propre fils ne lui témoigne pas d'amour. France est fatiguée, déprimée. À en juger par le jeu de mots entre son nom et son prénom, elle oscille quelque part entre la mort, France (de) Meurs, et la vie, France de Meurs (demeure). Elle s'apitoie sur son sort, pleure beaucoup. Même blessée par les remarques des clochards ingrats «pourquoi tu pleures ?», France continue de pleurer tout comme un petit bébé. D'une part, son hypersensibilité rebute les spectateurs indifférents qui pensent que les gens qui ont du pouvoir, de l'influence et de l'argent n'ont pas le droit de se plaindre, mais d'autre part, c'est son comportement d'enfant fatigué et capricieux, ses pleurs et son visage grimaçant que la caméra filme en gros plan et longuement, qui la rend humaine, comme tout le monde.
Elle est la plus grande journaliste de France, France. Pour son émission d'auteur, elle se rend sur les points chauds des conflits militaires non pas pour montrer la vérité afin de mettre fin à ces conflits, mais plutôt pour en tirer profit, pour tourner des images qui augmentent l'audience de l'émission et font parler d'elle. En même temps, France elle-même ne se rend pas vraiment compte qu'elle est prisonnière du système télévisuel moderne, qui exige des spectacles accrocheurs pour faire grimper l'audimat. Elle accorde toute sa confiance à son assistante Lou, qui est l'incarnation même de ce système médiatique cynique. Smartphone en main, Lou ne s'intéresse qu'au nombre de vues, à l'audimat et aux réactions des téléspectateurs. Les scandales et la réputation ternie de France ne la dérangent pas, car c'est bon pour l'audimat. «Le pire c'est le mieux, évidemment», dit elle. Prenant soin de France comme d'une petite fille, tout en la réconfortant et en l'encourageant, Lou, littéralement, d'un geste désinvolte de la main, fait tomber France de son piédestal.
Il suffit d'appuyer sur un seul bouton, de commettre une grave erreur, et le système médiatique cynique pulvérise impitoyablement la réputation d'une personne. Une cancel culture, pour le dire en termes modernes. Et la conversation de France avec la femme du violeur à la fin du film pousse précisément à l'injustice de cette pratique dans les médias modernes. Après la faute, en deuil, méprisée par le public, France arrive dans un village isolé pour interwiever la femme du violeur pédophile, Danièle. Cette dernière vit « heureuse » avec son mari depuis vingt ans, tout en sachant qu'il a fait de la prison pour avoir violé des femmes et une petite fille, ce que France lui fait remarquer. France est frappée par la croyance naïve de cette femme selon laquelle tout le monde mérite le pardon pour n'importe quelle erreur, même la plus grossière que son mari ait commise. Un sentiment d'injustice pince la poitrine de France, car quelqu'un comme Danièle a continué à aimer son mari violeur, un véritable démon, alors qu'elle-même, pour une erreur beaucoup plus légère, a été « annulée » et oubliée du jour au lendemain.
On peut dire que le film, à travers le personnage de France, reflète également l'image de la France en tant que pays avec ses problèmes sociaux : clochards ingrats, vols, migrants, fourniture d'armes et financement de conflits armés, perte de l'autorité de l'UE, nécessité de construire un « nouvel ordre socio-politique à l'échelle mondiale ». Posée dans les toilettes, la question « vous êtes la droite ou la gauche ? » n'a plus de sens. Si le capitalisme, comme le dit Jean-François Cabestan qui joue le rôle de voisin à la tartine dans le film, c'est quand on se donne aux autres, alors la France, en tant que personne et en tant que pays, s'est tellement donnée aux autres qu'elle s'est enlisée dans la dépression.
Créée
le 12 mars 2025
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