En guise d’ouverture au film, un présentateur s’adresse directement au spectateur pour donner les grandes lignes du récit à venir : la mort, la science, la vie, et le pouvoir réservé à Dieu de la créer. De quoi susciter quelques frissons et visions d’horreur qui ne manqueront pas d’en choquer certains, avant de conclure : « we warned you ».


L’art du teasing nait donc en même temps que le mythe du film horrifique vu par les studios, Universal se lançant dans les débuts d’une franchise qui s’avèrera très lucrative. Adaptation assez lointaine du roman de Mary Shelley – plutôt, en réalité, de sa version théâtrale, le récit ne va pas trop s’embarrasser de développements ou de dilatation avant la naissance de la créature : resserré sur 1h15, il joue davantage de la condensation et de la création d’un univers par la mise en image : dès le prologue dans le cimetière, la magie du décor fait son œuvre, que ce soit par l’obscurité, les silhouettes squelettiques des arbres ou les monticules de terre.


Cette attention portée aux tableaux va contribuer à l’universalité du mythe, dans le prolongement du langage planétaire qu’ont fondé les grands noms du cinéma muet. Si les dialogues peuvent sembler effectivement superflus, tout comme le profil psychologique des personnages, le travail sur le son restera déterminant, notamment dans la fameuse expérience mobilisant un puissant courant électrique passant d’un orage à de multiples machines. La verticalité détermine la majorité des espaces, de la demeure de la fiancée, particulièrement haute de plafond, à cette sorte de donjon dans lequel le baron conduit ses expériences, superbe tour allant chercher dans les cieux des énergies quasi surnaturelles, et à laquelle les personnages accèdent par un escalier taillé dans la roche.


Le jeu des clair-obscur alimente ainsi l’imagerie gothique et son étrange cohabitation avec une époque qui semble vaguement contemporaine, tout comme s’infuse un folklore européen (un bourgmestre, une fête de village) qui renforce une atmosphère de conte.
La ferveur croissante du rythme est permise par l’adjonction d’une foule qui passe d’une fête solaire (en contrepoint de l’accident de la noyade) à un lynchage aux flambeaux, au pied d’un nouvel élément de verticalité matérialisé par le moulin bientôt en flammes. C’est dans cette attention portée à la matière et au détails (les appareils électriques du château, les mécanismes en bois du moulin) que Whale perfectionne la mécanique générale de son récit, pour un film dans lequel la musique est par ailleurs étonnamment très peu présente, et qui converge vers un brasier final assez mémorable.


Si l’avertissement initial peut prêter à sourire, l’effroi n’étant pas véritablement au rendez-vous, il trouvera du moins un écho dans la portée visuelle de cette petite pépite : le gothique est né, et aura une longue descendance.

Sergent_Pepper
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le 1 avr. 2021

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Sergent_Pepper

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