Il est libre, Guy, y'en a même qui disent qu'ils l'ont vu voler...

J’avais adoré Free Guy lors de sa sortie salles mais n’avais pas vraiment pu le chroniquer, chose faite donc lentement sur le retour grâce au support physique. Attendez vous donc à une chronique pleine d'amour et de guimauve que c'en est presque écoeurant (notez bien que le mot comporte "coeur" tiens). Adoré oui car autant le dire directement, pour moi, Free Guy est une lettre d’amour (ça tombe bien c’est également une comédie romantique légèrement déguisée, on va y venir plus bas) au médium des jeux vidéo, voire la meilleure adaptation/hommage possible aux jeux vidéo, l'air de rien. Donc chro éminemment subjective vous vous en doutez.


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« T’as vu les baskets du braqueur ?
_ Celui de 14h ? De 16h ? »
(Buddy à Guy)
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Oui car en traitant non pas d’un personnage connu en particulier (comme Lara Croft ou Mario… Ce qui nous a donné des adaptations en films heu… plus ou moins rigolos… Mais pas forcément en adéquation avec le matériau de base) mais de second plan, voire troisième et de sa vie au sein même de ce média qui est sa réalité, le film fait ouvertement un pas de côté pour brasser large cet univers d’une manière à la fois interne et externe tout en étant fortement méta.


Cela pourrait donner une créature mutante qui partirait de tous côtés mais force est de constater que doté d’une scénario simple mais remarquablement bien construit et qui surtout, chose rare à notre époque actuelle où toutes les sagas ou remakes/suites tombent les pieds dans le plat dans une constante facilité d’écriture ouverte à tout et n’importe quoi, tient sur ses deux pieds.


En interne donc, on a « Guy » (traduction littérale de... « mec » !) et son univers.


Guy est ce qu’on appelle un PNJ, un « Personnage Non Jouable », le plus souvent des intelligences artificielles basiques dans un jeu vidéo qui sont censées toutefois apporter le semblant de réalité concrète qui bâtit le monde en question (j’ai la fameuse conférence de Philip K. Dick à Metz dans les années 70 qui me revient tiens, « Comment bâtir un univers qui ne s’effondre pas deux jours plus tard ? » (1)). Comme son nom l’indique, il est purement anonyme. Son appartement est quasi pas décoré (tout blanc), il a les mêmes vêtements pour toute la semaine-mois-année (chemisette bleue, cravate) et semble l’unique locataire d’un immeuble immense dont toutes les chambres semblent inoccupées. Bref Guy est limite une page blanche que le joueur pourrait investir s’il ne faisait pas partie de cette simulation de ville en ligne gigantesque qui cache à peine son clin d’œil à la saga des jeux GTA.


Le bonhomme est enfermé dans une routine circulaire où chaque jour est limite le même (Un jour sans fin ou Beautiful Lamu pourraient d’ailleurs être des références non avouées des scénaristes dont l’un d’eux, Zak Penn, qui a travaillé sur Ready Player One, tiens tiens), les fusillades étant monnaie commune à tel point qu’en guise de météo, le présentateur de la télé annonce tel ou tel bain de sang chaque matin ! Rien ne vient donc changer sa vie qui, si elle n’est pas spécialement morne, n’évolue pas des masses… Jusqu’au jour où le personnage de Guy croise la route de Millie alias « MolotovGirl » et que ça va déclencher l’étincelle qui va le changer à jamais… Mais pour cela il va falloir que Guy prenne une fameuse paire de lunettes noires qui vont lui dévoiler l’envers du décor (et la référence aux fameuses lunettes de Invasion Los Angeles de John Carpenter est évidente et assumée – Quitte à ce que Guy lui-même demande à Buddy de mettre les lunettes comme dans le film de Carpenter !).


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« Parfois j’oublie qu’il n’y a pas que des hommes-enfants psychopathes ici et ça fait du bien. »
Millie / MolotovGirl
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A partir de là le film va jouer sur différents tableaux dont une petite réflexion sympathique sur les jeux vidéos, sans jamais perdre de vue son but de divertir en nous touchant et faisant rire. Guy étant un personnage quasi vierge de tout référent, il est comme un enfant naïf et innocent et le film va mettre en place sa personnalité (faire le bien) face à celle des autres joueurs qui arpentent cet univers et font diverses missions en ne s’embarrassant pas de tuer tel ou tel personnage.


Et ce qui est fort c’est que le film ne critique pas les joueurs (et joueuses; de tous âges, de tous sexes d’ailleurs) mais pose le constat en s’amusant qu’il y a toujours la possibilité d’aborder les jeux vidéos, même pour jeunes adultes et adultes en effectuant des missions où les personnages du décor peuvent être épargnés. En somme, mettre en avant une philosophie du jeu qu’on a pu apercevoir ces dernières années dans des missions à trophées sur les consoles next-gen (et ordis) où il fallait qu’il n’y ait aucune victime collatérale. Un peu comme dans la réalité. Comme si il fallait quelque part rééduquer le joueur pour redonner de la valeur et du sens moral (avec recul hein, c’est une lecture personnelle possible).


De manière générale c’est toute l’industrie des jeux vidéos dont on s’amuse gentiment en s’interrogeant.


Les studios Soonami où travaille Keys (Joe Keery) sonnent comme la déclinaison d’un certain Konami et la logique mercantile de Antwan (Taika Waititi qui en fait délicieusement des tonnes dans le rôle) n’est pas si éloignée d’une compagnie comme Electronic Arts qui fait constamment payer des ajouts en plus en ligne à des jeux dont on dirait qu’ils ne sont pour le coup jamais finis complètement sous le prétexte d’utiliser les services online. Bon ici il propose de sortir un second jeu Free City plutôt que corriger les défauts du premier, ce qui revient un peu au même (et un second jeu qui sera à nouveau incomplet ou avec de nombreux bugs non résolus à temps), évacuant là aussi l’idée de nouveauté puisqu'on propose une séquelle qui surfera à peine sur les acquis de la première oeuvre (quelque part ce constat peut s’étendre aussi à une société cinématographique actuelle en crise).


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« Pourquoi créer un jeu original quand on peut créer une séquelle ? »
(Antwan)
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Enfin le film est une vraie comédie romantique (et ce même si le dosage entre romance, comédie et aventure est assez bien pensé à parts égales). L’originalité ici c’est que le triangle amoureux est détourné de sa fonction classique puisque le personnage de Guy n’existe pas dans cette réalité. Guy est donc amoureux de l’avatar de Millie et Millie redécouvre en Guy des idées de programme qui avaient été posées avec Keys pour s’apercevoir qu’en fait ce dernier l’avait toujours aimée. Guy est donc à la fois l'objet d'un amour doit il est également malgré lui le passeur. On peut frôler la déprime existentielle là. Bon, c’est basique mais ça fonctionne en fin de compte. Ah mince, j’ai un peu spoilé. L’enthousiasme, désolé.


Mais à ce sujet le film s’interroge à nouveau subtilement sur la masculinité toxique, les nombreux joueurs utilisant leurs avatars de jeu pour assouvir quelque part leurs pulsions, de violence, et parfois de sexe (une courte séquence et un rapide dialogue, étonnant dans un film tout public produit par Disney, j'approuve cette légère audace cachée comme un pépin dans un gâteau). Et vice-versa (coucou le bon vieux jeu vidéo Duke Nukem qui mettait en avant le mâle alpha bourrin comme seul rempart de l’humanité et où l’image des femmes était, ahem… le net est votre ami).


Le film est donc conscient d’une industrie dont les travers ont souvent donné des joueurs repliés dans leurs fantasmes et un certain machisme dans les parties en lignes de ces 20 dernières années quand le jeu en ligne a véritablement pris son expansion (not all joueurs, on sait). Et il ne critique pas, il constate juste en s’en amusant et ça, au sein d’un « simple » divertissement je trouve ça très fort. Surtout qu’à travers le personnage de Guy comme de joueurs et joueuses qu’on voit passer devant la caméra dans de courts passages documentaires, un message d’optimisme et d’espoir est donné.


Comme quoi, Guy est bien un free guy, un homme libre donc, dans toute l’humanité que ça requiert pour arriver à faire bouger tout ça. Free guy oui, mais aussi et avant tout un simple guy. Une ode aux mecs simples et humbles.
Et pour tout ça, on t’adore Guy.


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(1) Allez bonus : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-rue89-culture/20160126.RUE2014/comment-batir-un-univers-qui-ne-s-effondre-pas-deux-jours-plus-tard.html#:~:text=2016%20%C3%A0%2017h01-,%C2%AB%20Comment%20b%C3%A2tir%20un%20univers%20qui%20ne%20s'effondre%20pas%20deux,science%2Dfiction%20de%20sa%20g%C3%A9n%C3%A9ration.

Nio_Lynes
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le 6 janv. 2022

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Nio_Lynes

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