Complainte avec constitution de parties civiles

En 1939, juste après La Règle du jeu, Jean Renoir se sauve aux Etats-Unis afin d'y poursuivre au calme une carrière des plus insignifiantes. L'après-guerre l'invite bien à rentrer chez lui, mais il préfère le chemin des écoliers, il s'offre une escapade indienne très colorée avec Le Fleuve, puis, doucement, tâte de la commedia dell'arte avec Le Carrosse d'or avant de s'offrir un petit plaisir parisien digne du touriste qu'il est devenu : le très réjouissant French Cancan.

Il retrouve alors, et nous avec, un Jean Gabin déjà vieux mais pas encore défiguré, il joue le rôle du fondateur du Moulin Rouge et c'est un peu à la naissance de ce dernier que le film nous convie.

Au dessus du berceau, les parrains sont ceux qui berçaient le cinéaste enfant : Toulouse-Lautrec, Degas, Renoir père...

Ah, la belle époque que voilà, les blanchisseuses étaient accortes alors, elles se donnaient à leur fiancé mitron au milieu des sacs de farines, refusaient des princes mais fondaient devant l'idée du théâtre... Les hommes nantis entretenaient maîtresse et domesticité des plus stylées, les maquereaux des bas-fonds pickpockettaient joyeusement en attendant que les morues appâtassent le chaland, les buttes dansaient à l'orgue de barbarie, les habitués des terrasses devisaient devant leurs absinthes, les huissiers préféraient quitter leur profession pour se faire contorsionnistes dans le spectacle, et trente donzelles déchainées levaient bien haut la jambe pour ressusciter sous un faux nom anglais le bon vieux coincoin des familles, le dernier galop qui fait plaisir et qui s'achève alors dans un chahut particulièrement littéral.

Jean Gabin promène son allure débonnaire de demoiselle en demoiselle, sans paraître remarquer l'indécence de son âge ou de sa figure, mais bon, ça n'a pas l'air de trop déranger Françoise Arnoul, alors, on laisse dire... Jean-Roger Caussimon n'était encore que la moitié de lui-même, il partageait pourtant la sienne avec Gabin ou Piccoli sans sembler particulièrement se diminuer. Philippe Clay est assez extraordinaire en Valentin le désossé qui ne veut pas dire son nom. Vous trouverez aussi dans ce joyeux fourre-tout un pierrot siffleur, un Gaston Modot majordome, une Piaf ainsi qu'une Patachou, un Jacques Jouanneau impayable et un classique de la chanson française.

Ah oui, parce que pour le film, Jean Renoir avait besoin d'une chanson, vous savez, un de ces airs de Montmartre qu'on entend tout du long, qui revient, qui repart, que la voisine se met à chantonner, que Gabin se prend à écouter, qu'il lance à l'ouverture et qui fait un tabac.
George Van Parys mettra en musique des paroles de Jean Renoir lui-même, pour une Complainte de la Butte que chantera alors Cora Vaucaire, doublure pour l'occasion, et qui est aujourd'hui bien plus connue que ce merveilleux film.

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le 23 mai 2012

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Torpenn

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