On suit dans ce film Goliarda Sapienza, une femme de 55 ans qui a écrit un manuscrit, L’Art de la joie, refusé par toutes les maisons d’édition. Mais le film ne s’attarde pas sur cette histoire là, et c’est presque ce qui surprend en premier : il déplace totalement le regard. On se retrouve plongé dans un Rome des années 80 incroyablement reconstitué, un Rome un peu délavé, un peu cabossé, avec une lumière qui donne l’impression qu’on est en train de feuilleter un album photo qui n’a jamais appartenu qu’à elle.
Fuori, en vrai, c’est un film d’amitié. Une amitié ambiguë, toxique, égoïste parfois, mais d’amitié quand même. Et c’est probablement là que beaucoup décrocheront. On comprend ce qu’on est vraiment en train de regarder seulement passé la moitié du film. Il n’y a pas de vraie intrigue qui nous tire en avant pendant presque deux heures, pas de personnage principal charismatique pour nous tenir la main. Goliarda paraît d’abord énigmatique, presque fascinante, et elle finit par s’effacer sous le poids de cette codétenue fraîchement libérée, qui prend toute la place sans même le vouloir. Au final, tout ce qu’on apprend d’elle passe par ce regard extérieur, presque voyeur, qui la cerne sans jamais vraiment l’atteindre.
Il faut accepter que Fuori soit ce qu’il est : un film d’auteur italien, impressionniste dans son approche, plus dans le « montrer » que dans le « raconter ». Certains dialogues feront sûrement sourire à la sortie, ou même lever les yeux au ciel. Pourtant, dans un paysage très formaté, Fuori a quelque chose qui se mérite, quelque chose qui demande d’abandonner l’idée du récit traditionnel pour entrer dans une ambiance, une vibration presque fragile.
Et ce passage à Cannes l’a confirmé. Le film y a été accueilli avec autant d’interrogations que de curiosité : certains ont salué sa liberté, d’autres n’ont pas compris ce qu’il venait faire sur la Croisette. Mais cette projection là a montré une chose : Mario Martone divise parce qu’il refuse d’arrondir les angles. Il n’essaie pas de plaire. Il cherche juste à exister comme il est, brut, impressionniste, un peu déroutant. Et au fond, c’est peut-être ce qui lui donne sa petite singularité dans la sélection.