Après son film Limonov, la ballade (2024), dans lequel Kirill Serebrennikov s’attachait à la trajectoire d’un provocateur insolite entre art et politique, le cinéaste revient avec cette adaptation du roman d’Olivier Guez pour plonger dans la cavale du médecin nazi Josef Mengele.  
Le jeu d’August Diehl est sans doute la force la plus convaincante du film : il incarne avec une froide densité la figure de Mengele, traduisant à la fois la mécanique perverse, le déni obstiné, et l’obsession nostalgique de la grandeur nazie. Le personnage apparaît comme enfermé dans ses propres codes : négationnisme, rationalisation de l’horreur et Diehl capte cette ambivalence.
Les scènes gores sont d’une belle retenue : elles montrent ce que l’on attend d’un film sur une figure comme Mengele, tout en évitant (la plupart du temps) la caricature ou le spectaculaire facile. Le film n’a pas l’ambition d’être un exercice de pur spectacle horrifique, mais d’approcher un bourreau dans sa solitude, ce qui est déjà une démarche forte.
La musique, dominée par un violon presque strident, bâtit une tension continue. C’est sans doute le registre formel le plus réussi : la bande-son épouse la claustration psychologique du personnage, et devient un instrument à part entière du malaise.
Mais le film souffre de plusieurs défauts. Le choix du noir et blanc pour la majeure partie du récit (associé à un format 16/9) interroge : on comprend l’idée de biopic historique, mais pourquoi ne pas avoir opté pour un format plus resserré (4/3) qui aurait renforcé l’effet d’enfermement ? Et pourquoi recourir à la couleur dans les flash-back de 1940, si l’on place le reste en noir et blanc ? Le contraste visuel apparait parfois incohérent.
Le rythme manque de tenue : là où le format roman permettait une lente désagrégation psychologique, le film multiplie les ruptures, les ellipses, et finit par « perdre » le spectateur. Le déroulé s’éparpille, la mise en scène hésite entre étude de personnage, et enquête morale.
Des clins d’œil historiques (campagne antitabac, végétarisme d’Hitler, l’origine du nom « Mendele ») apparaissent comme trop visibles, presque didactiques : l’évocation aurait gagné à être plus discrète, laissée à la finesse plutôt qu’à la démonstration.
En définitive, La Disparition de Josef Mengele confirme que Serebrennikov ne recule pas devant les sujets difficiles, le film fascine, mais il laisse aussi une froideur, un sentiment d’inabouti : un artiste brillant ravalé par l’échelle de son sujet.