Gerry
6.7
Gerry

Film de Gus Van Sant (2002)

Que la vie à deux est parfois un éprouvant désert

Cela faisait vingt ans que je différais de voir Gerry de Gus Van Sant. Au vu des quelques critiques lues et du pitch, je me méfiais. Je viens enfin de le voir à l'occasion de sa ressortie en salles. J'ai trouvé le film beau et magnifiquement porté par Matt Damon et Casey Affleck, mais cette errance dans le désert sud-californien des Mojaves m'a quand même semblé bien longue.

On peut tout à fait prendre le film au premier degré (la randonnée de deux jeunes audacieux imprévoyants ayant pour but la découverte, dans le parc national de la vallée de la Mort, d'un site touristique réputé... et qui s'égarent en cours de route), mais pour ma part, j'ai vu toute l'histoire comme une métaphore. En cela, Gerry m'a rappelé, bien que les deux films soient très différents, Le Plongeon (The Swimmer) de Frank Perry (avec Burt Lancaster) sorti 30-35 ans auparavant, les deux métrages étant des métaphores extrêmement pessimistes de l'aventure humaine.

Deux alter-egos, Gerry et Gerry, se sont lancés dans une relation, une "expérience", dont ils n'arrivent pas à sortir. Une sorte d'amitié amoureuse ou d'amour platonique qu'ils ne parviennent pas à formuler, à exprimer : le film est quasi mutique, à de rares scènes près ; et pendant 95 % de l'aventure, il ne se passe jamais rien d'ambigu entre les deux Gerry. Ce désert de l'amour (c'est mon interprétation métaphorique du film), dans lequel ils sont peu à peu tombés, par innocence et imprévoyance, les assoiffe et affaiblit de plus en plus. Ils cherchent à en sortir sans succès. Et leurs pas les mènent, comme par malédiction, inexplicablement, dans des contrées de plus en plus désolées et arides (au point que le spectateur qui prend les choses au premier degré s'en exaspère : comment ces deux gentils hurluberlus peuvent-ils être passés progressivement d'un environnement verdoyant à un vrai désert sans s'en apercevoir et rectifier leur route ?).

Jusqu'à ce que, assoiffés, affamés, épuisés, ils s'écroulent sur le sable brûlant. Le plus affaibli avoue alors à l'autre qu'il est sur le point de passer, puis il tend difficilement, maladroitement le bras, la main vers son compagnon (en un longtemps différé et ultime aveu de tendresse ? ou pour lui demander d'abréger ses souffrances ?) qui écarte d'abord la main, la repousse et puis, changeant soudain d'avis, se retourne vers son compagnon plus ou moins mourant, superpose son corps sur le corps de celui-ci comme pour l'enlacer et... il l'étrangle.

Enfin libéré de cette relation d'amitié amoureuse qui, ne débouchant sur rien, se dégradait de plus en plus, Gerry reprend sa marche clopinante et... miracle ! ses yeux distinguent alors presque immédiatement la route traversant le désert qu'ils cherchaient désespérément sans la trouver depuis des jours. Et bientôt, un automobiliste compatissant (avec son jeune fils à ses côtés) l'accepte dans sa "caisse", lui sauvant ainsi la vie et le rendant à la civilisation et au monde des vivants.

Bien que cette interprétation métaphorique de Gerry se soit spontanément, irrésistiblement imposée à moi durant la projection, je n'affirmerai pas qu'il n'en existe pas d'autres, au moins aussi valables.

En tout cas, j'ai trouvé l'idée de base plutôt brillante et bien transcrite à l'écran, bien filmée, avec une bande son compensant en partie le mutisme presque total (façon L'Île nue de Kaneto Shindô) des deux acteurs, lesquels sont charmants, justes, énigmatiques... et de plus en plus brisés par un environnement hostile.

Mais toutes ces qualités débouchent quand même sur un résultat filmique qui frise l'ennui.

Mon avis global est donc mitigé.

Créée

le 6 sept. 2022

Critique lue 64 fois

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Fleming

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