La fin des années 2010 voit éclore avec une récurrence toute particulière la question du racisme, du sexisme, et autres xénophobies ambiantes, dans un monde paradoxal, entre multiculturalisme, mondialisation et crises économiques et sociales poussant au repli sur soi.
Get out pourrait bien s'avérer être le premier (et espérons-le, pas le dernier), film à traiter intelligemment d'une problématique obsédante pour une époque prônant tolérance et égalitarisme d'une part, tout en restant attachée à quelques relents de conservatisme somme toute humains. De nos jours, les mentalités changent moins vite que nos modes de vie, soumis à une pression toute particulière et alimentée par les médias et la technologie.


Get out souligne avec une lucidité et une intelligence remarquables cette foule d'éléments contradictoires, sans jamais trancher avec acidité via son propos. Le but n'est pas ici de s'aliéner les foules et de diviser les avis non pas sur l'œuvre en elle-même mais sur le sujet qui s'y cache. Le but est de poser une question, une seule : à quel point l'enfer est-il pavé de bonnes intentions ?
Nul doute que certains ne manqueront pas de taxer d'excessive cette fable volontairement capillotractée, qui s'amuse à cueillir un concept pour le pousser à l'extrême. C'est néanmoins bien de cette façon que tous les philosophes des lumières eux-mêmes ont œuvré pour mettre à l'épreuve les idées, les théories et les doutes, n'hésitant pas à utiliser contes philosophiques, satires et autre Candide pour glisser discrètement quelques réalités bien placées entre deux élans de fiction.
Deux pôles de réflexion sont ainsi mis en lumière par Peele :


¤ D'une part, le racisme évident qui parasite toujours la société (et plus particulièrement les Etats-Unis, toujours hantés par la traite des Noirs), mais plus encore : le malaise qui hante toujours les individus ostracisés par une communauté dominante blanche, cultivée et habitée par un catalogue de comportements hérités, consciemment ou pas, du XVIIIe siècle. Les codes sociaux existent, rappelle Peele. Une poignée de main, un vocabulaire particulier, une façon de se vêtir et une attitude en elle-même suffit parfois pour rappeler le fossé capable de séparer deux cultures pas si clichés qu'elles n'en ont l'air. L'apartheid est toujours là, mais invisible, flottant dans l'air entre deux rires supérieurs vantant la musculature ou l'endurance sexuelle d'un noir, mais également capable de diviser les noirs américains entre eux. La solidarité prônée par ceux qui s'estiment alors victimes est montrée comme un leurre, comme fragilisée par la volonté de penser qu'il n'y a plus de raison, aujourd'hui, de se rassembler contre un même ennemi : le blanc tout puissant.


¤ D'autre part, l'antiracisme n'est pas épargné pour autant, même s'il doit se contenter de la première partie du film. L'attitude presque obséquieuse des parents Armitage, l'inquiétude quasi-systématique de faire preuve de racisme ou de blesser l'autre, sont autant de grains de sable dans l'engrenage social, qui freine alors toute spontanéité dans les prises de parole et autres formes de réunions. Une gangrène qui ne sera pas éradiquée par les années à venir, semble-t-il.


Tout en se jouant habilement de cette réflexion métaphysique, Get out s'évertue également à rappeler que le racisme n'est pas toujours ce que l'on croit. Le racisme ne se trouve pas forcément uniquement dans l'insulte, le mépris ouvert et la concentration en zones géographiques dépendant de la naissance d'un individu. Le racisme se concentre parfois au cœur même de la flatterie et des compliments sincères qu'un blanc peut offrir à un noir, et vice versa. Une pirouette délicate à manier, mais dont le film se tire à merveille, et presque sans effort.


La musique discrète mais efficace de Michael Abels suffit immédiatement à plonger l'atmosphère dans une bulle de malaise compacte. Quant au casting, difficile de se plaindre de la performance d'acteurs à l'aise comme des poissons dans l'eau. Un puissant coup de cœur pour Allison Williams, encore au tout début de sa carrière, mais qui prouve ici toute l'étendue de son potentiel, souligné par une vaste et impressionnante palette d'expressions, capable de passer de l'ange au démon en un battement de paupières.
Une très agréable découverte, et un gros, gros, gros OUI.


Le + qui fait plaisir : la référence indéniable à American History X, cynique à souhait.

Créée

le 16 mai 2017

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Seren_Jager

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