Le cœur même du sujet que je vais aborder les deux années à venir est le renouveau du cinéma d’horreur engagé auprès des minorités raciales, plus particulièrement afro-américaines. De plus, j’ai trouvé relativement peu de sources fiables au sujet de ce film, renforçant ainsi le potentiel de pertinence de mon devoir.


L’ouverture de Get Out suit un jeune homme afro-américain, dénommé Andre, qu’on ne reverra pas du reste du film, faire part de son inconfort aux sein des États-Unis par le biais d’un coup de fil. S’ensuit son agression, ayant la particularité de se dérouler avec en guise de fond une musique diégétique gaie, amorçant un ton orienté vers l’humour noir qui se manifestera plus discrètement par la suite – Peele étant humoriste à l’origine. La caricature du personnage de couleur racisé croise celle de l’introduction typique du slasher, et distille l’ambiguïté quant à ce qui motive les ravisseurs.


Il s’agit d’une piste formelle très classique dans les films d’horreur, dont les prémisses peuvent être situées à l’ère des premiers slashers, tels que La Nuit des masques et Vendredi 13. L’effet qu’il provoque en l’occurrence est le décalage entre cette volonté de tromper le spectateur en nous faisant passer un personnage quelconque pour le protagoniste qu’il s’apprête à suivre, et la manière cocasse par laquelle le film décide d’emblée de le supprimer. L’autre règle d’or est aussi de maintenir l’ambiguïté autour de la figure antagonique et de ses motivations.
Plus psychologique que physique, le film chamboule la donne à la fin, au moment où est convoquée l’angoisse à son climax avec des plans étroits rappelant ceux de Shining, croisant l’évocation des sciences à une fin des plus morbides. Ils ancrent le film dans le genre horrifique classique alors qu’il y émanait jusqu’alors essentiellement des caractéristiques de thriller.


Paradoxalement, Jordan Peele n’est nullement ambigu quant à son ambitions, en témoigne le résumé de l’édition vidéo française du film, précisant directement qu’il est question d’un « jeune homme noir » en guise de protagoniste. Il poursuit, en guise de description, en relevant l’idée véhiculée d’un « portrait d’une Amérique post-Obama ». Il sera en effet question de la situation politique américaine alors en cours, au moment de la première rencontre entre Chris Washington, patronyme par ailleurs non-anodin pour allégoriser un pays en pleine mutation, et son beau-père. Contrairement à ses prédécesseurs romeriens, Jordan Peele ne pose nullement de doute quant à la dimension sociale de son travail.


Le titre apparaît sur un plan mouvant de forêt : Get Out se traduisant par « Va-t’en », « Dégage », cette mise en scène peut se traduire comme une projection dans un instinct sauvage.


Le film fait part d’un rapport de choix entre l’image et le son. Le premier plan sur Chris le présente devant le miroir de sa demeure : l’alter ego du garçon se déploie dès sa première apparition, nous pouvons alors entendre en guise de fond un morceau du genre R ‘n’ B, instaurant une ambiance purement afro-américaine. Par la suite, la musique se veut moins imposante et Chris demande à sa fiancée (en version française) : « Tu leur as dit que j’étais black ?». En plus de nous renvoyer subitement à la nature imposée au héros, engrenage phare de la suite des événements, cette réplique ose ne faire aucun mystère sur la familiarité voulue par le film jusqu’à sa traduction. Mais est-ce que c’est le son qui rend service au personnage, ou lui renvoie-t-il seulement à son image ? C’est ce qu’on essayera de confirmer à d’autres reprises, notamment lors de la séquence précédant la scène finale. En effet, celle-ci, rythmée par un morceau reggae, nous montre Chris se libérer et tuer les chirurgiens : jeux permanents avec la BO, comme le morceau Run qui revient à la fin du film, ainsi que la ballade culte The Time of My Life entendue depuis les écouteurs de la jeune femme au moment où Chris tue ses ravisseurs, créant ainsi une rupture de ton.


De même, un esprit communautaire se faisant ressentir au milieu du film, bavard, semblable à celui de La Nuit des morts-vivants.


Au cours de la scène suivante, nous assistons au deuxième déploiement d’un cliché de l’horreur singulièrement réarrangé. Effectivement, celui du chevreuil percuté en pleine route, demeure très classique dans les films d’horreur : intervenant souvent de nuit, il aboutit à une forme de fatalité qui s’abattra sur les acteurs de l’accident. En l’occurrence, la séquence intervient de jour, et on établit un rapport ambigu entre ce chevreuil mort qui reviendra hanter Chris en songe, et l’effet de revanche qui se produira. C’est un plan, de nuit cette fois, dans les bois, témoignant d’une présence spectrale ; bien que réaliste – surtout psychologique – on y note la convocation de quelques touches de fantastique à travers ce rêve. Ainsi le spectateur réalise rapidement que le caractère fantaisiste de l’oeuvre n’est qu’illusoire et que le cauchemar auquel il assiste se veut bien réel.


Troisième constat majeur, la question du point de vue demeure tout autant primordiale dans la première production signée Peele ; tout d’abord, elle se manifeste implicitement au plan qui lance réellement l’intrigue. En effet, quand le couple arrive chez les parents de la jeune femme, la caméra reste au loin, comme si l’observateur était intradiégétique, soit omniscient, soit au contraire obligé de se tenir à l’écart de ce qui se passe. S’agirait-il sinon du spectateur ? À cela, s’ajoute le motif de l’appareil photo : en effet, le personnage de Chris est photographe et c’est cela qui va le sauver quand il et face à l’un de ses ravisseurs dans la scène finale. Il détiendrait ainsi « la vérité », comme quand il photographie la grand-mère gouvernante hypnotisée à la construction mystérieuse plus tôt.


Ultime point de vue révélateur du positionnement idéologique de cette suite d’événements ; lorsqu’à la fin, Chris retrouve son ami Rodney, également de couleur et par ailleurs policier. Le plan final suggère que le statut de justicier dans l’histoire a bel et bien changé de camp.

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le 31 mars 2023

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