Ce qui intrigue en premier lieu est cette impression étrange et durable conséquente au premier visionnage : on n’a pas tout compris, pour ne pas dire rien compris du tout, et pourtant tout semble limpide, explicite – d’aucuns se souviendront avoir eu la même sensation avec Matrix, et ce n’est pas un hasard : les frères Wachowski n’ont jamais caché s’être inspirés de l’iconographie et de l’infographie de Ghost in the shell.
L’emprise – que dis-je ? – le piratage de l’œuvre sur son propre inconscient pousse à y replonger une seconde fois, puis une troisième, une quatrième… jusqu’à éprouver une inextricable empathie pour le major Kusanagi. Jamais un personnage de cyborg n’avait exprimé une telle humanité.
Et, d’humanité, elle n’est pas la seule à en être pourvue : il y a bien Batou, constatant avec impuissance la quête métaphysique de sa coéquipière ; Togusa, flic idéaliste au corps non "cybernétisé" et au révolver à l’ancienne ; et les victimes du Puppet Master, dont le piratage ne fait que révéler, en miroir, nos propres failles humaines – peur de la solitude, perte de repères, absence de communication.
C’est ainsi qu’apparaît le second point fort de Ghost in the shell : la mise en images de ces instants-là, durant lesquels ces victimes jusqu’alors ignorantes s’acheminent de la persuasion à la désillusion. Toute la force réside dans ces scènes, prétendument d’action, véritablement d’introspection, faisant écho au duel mythique de Il était une fois dans l’Ouest. Quand on sait l’influence du cinéma nippon sur la filmographie de Sergio Leone, Mamoru Oshii ne pouvait rendre meilleur hommage à ses pairs.
Cet extrait en donne un aperçu, la musique est en totale opposition avec les codes du genre : de prime abord en opposition de style, des chants traditionnels japonais se substituant aux sonorités électroniques popularisées par Tron et Blade Runner – voie aussi suivie, dans une moindre mesure, par Akira ; mais aussi en opposition de rythme, en se libérant de son rôle habituel d’accompagnement, pour soit prendre une place centrale, tel un clip musical (cf. extrait ci-dessus), soit "désamorcer" les scènes d’action en imposant une présence minimaliste et apaisante.
Peut-être tenons-nous ici la clé de la fascination exercée par Ghost in the shell : le décalage permanent entre ce qui est attendu et ce qui est finalement exposé. Il y a ces cyborgs rongés par le doute cartésien et ces humains vivant comme des automates, ces scènes d’action d’une grande subtilité révélant bien plus sur la psychologique des personnages que tout passage dialogué, cette colère froide et inaliénable que nul accès de violence ne saurait assouvir, cette musique traditionnelle déroutante dans un univers cyberpunk. Cette mécanique savante exerce un véritable attrait mystique, métaphysique, dont les questionnements conduisent à des interprétations évoluant au gré des relectures.
Par l’universalité des thèmes évoqués, la justesse du propos, une réalisation soignée et un récit relativement abordable, Ghost in the shell demeure ainsi l’une des références de l’animation japonaise, au même titre que Akira et Princesse Mononoke. A découvrir pour certains, à revoir une énième fois pour d’autres…