God's Puzzle
5.7
God's Puzzle

Film de Takashi Miike (2008)

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[critique originellement sortie sur le site spécialisé Sancho Does Asia en 2013]


Quarante-cinquième film de Takashii Miike (il en a réalisé une dizaine depuis, le dernier étant prévu pour avril prochain au Japon), God’s Puzzle est un teen movie complètement délirant, qui tente de nous prouver que bluette adolescente et mécanique quantique ne sont pas incompatibles.


Un gigantesque collisionneur de particules (servant à découvrir de nouvelles fractions de la matière) vient d’être inauguré. Sa particularité est d’avoir été imaginé par Saraka Omizu (Mitsuki Tanimura), petite génie de 17 ans. De l’autre côté de l’écran se trouve Motokazu (Hayato Ichihara), jeune rêveur rockeur un peu raté, travaillant dans un restaurant de sushis. Son frère jumeau, Yoshikazu (Hayato Ichihara), est son opposé : c’est un brillant élève qui vient d’être reçu dans une université de physique (« le labo » dans la VF). Malgré cela, Yoshikazu demande à Motokazu de le remplacer à l’université, afin qu’il puisse poursuivre une quête initiatique en Inde. Motokazu accepte pour les beaux yeux de Shiratori et, de cuisiner les sushis, il en vient à devoir (essayer de) jongler avec les théories de l’astrophysique et de la mécanique quantique.


Plébiscité par la directrice de l’université (pensant avoir affaire avec son frère Yoshikazu), Motokazu se doit de faire revenir Saraka qui, malgré son génie, ne daigne passer ses examens. Il réussit à la faire revenir en présentant son mémoire qui porte sur la création de l’univers. Les deux entament alors un voyage sur les traces du puzzle de Dieu, ou comment créer un univers ex-nihilo.


Quiconque aura lu ce court synopsis aura bien compris qu’il ne s’agit pas là du film le plus « sérieux » de notre cher ami Takashi Miike. God’s Puzzle est néanmoins un film attachant (le non sérieux de Miike ne semble jamais sans intérêt), non dénué de bonnes idées, mais souffrant parfois de longueurs et bizarreries (mais ça, on s’y attendait).


Motokazu est le jeune rockeur artiste loser auquel on a affaire dans de nombreux teen movies. Lors de la première partie du film (qui dure 2h10 tout de même), notre cancre se retrouve face à la dure réalité des études, confronté à des cours que non seulement lui doit suivre, mais aussi nous, pauvres spectateurs. En effet, ces premières vingt minutes sont l’occasion pour Miike de mettre en place l’intrigue du film mais aussi de donner ce qui semble être la trousse de secours pour tenter de comprendre où le réalisateur semble vouloir en venir par la suite. Il faut avouer que l’ennui peut poindre à certains moments, pour le spectateur pas forcément intéressé par ce genre d’explication. Nonobstant, cette première partie peut s’avérer particulièrement divertissante, et ce, grâce à l’énergie incroyable (débordante et délirante) de Hayato Ichihara, jouant le regard anxieux et pathétique du cancre qui ne saisit rien en cours.


Par la suite, Motokazu doit récupérer la belle Saraka qui ne se sent plus à même de travailler avec ses congénères humains. C’est donc en short pyjama (l’une des stars du film) et en se tenant les pieds (stars récurrentes de Miike, on a pu voir ce type d’insert dans Big Bang Love : Juvenile A) que notre héros fait sa rencontre. Après avoir fait « connaissance » avec elle et son ordinateur, Motokazu réussit à la faire revenir en classe. Un débat entre petits génies (Saraka et l’antagoniste Airi) s’installe alors. Miike nous concocte une confrontation sous forme de questions / réponses entre les deux, sorte de Gloubi-Boulga à base de racines grecques et d’équations complexes auxquelles le spectateur ne comprendra probablement rien.


L’intérêt n’étant pas là, mais visant plutôt à démarquer deux grandes théories qui s’affronteront le long du film. Celle de Saraka, d’un part, menant à la possibilité de créer un univers ex-nihilo, et donc de prouver l’inexistence de Dieu en résolvant le fameux puzzle. Puis celle de Airi, qui incarne une vision plus étroite d’esprit, pensant que l’homme est incapable de résoudre ce qui apparait comme venant du divin. Ici encore, le jeu de Hayato Ichihara est excellent. Sa participation au débat est désopilante, donnant lieu à des moments véritablement drôles, toujours servis par le « regard inquiet du cancre ».


Le film dévoile alors enfin son vrai potentiel, et se montre un peu moins scolaire (au propre comme au figuré). Après s’être retrouvé sans argent, Motokazu se voit obligé de travailler dans une rizière. Et ceci en parallèle de ses cours particuliers avec Saraka, à qui il a demandé de l’aide pour réussir son mémoire.


Ces séquences sont selon moi les plus intéressantes, tout du moins dans les idées que semble vouloir faire passer Miike. En effet, les questionnements éminemment complexes que soulève le film, contrastent très largement et de façon intelligente avec la vie de Motokazu, petit jeune qui galère et qui se pose des questions compliquées. Les différentes crises identitaires remettent dans une mesure plus humaine ces histoires de création, finalement aussi chaotiques que l’est le cœur humain. C’est donc une touche plus romantique que confère Miike au film, qui flirte avec la métaphore et le symbole tout en restant léger. L’humour reste bien sûr de mise, et les talents comiques de Hayato Ishihara ne sont pas en reste.


Malgré les quarts du film passés, on a du mal à croire que Miike prenne réellement au sérieux ces questions complexes, si ce n’est pour leur côté symbolique. Les dernières quarante-cinq minutes semblent confirmer très fortement cela. En effet, Miike fait constamment des pieds de nez au spectateur, et nous surprend en prenant le chemin inverse de celui imaginé. Notamment en changeant complètement de genre, passant de la bluette mêlée de drame adolescent à la science fiction.


Nous avons le droit à une certaine idée de l’absurde selon Miike, qui termine son film par l’un des finals les plus drôles (ou spécial, c’est selon) auquel j’ai pu assister. Il détruit tout ce qui a été posé auparavant dans le film, explosant ainsi pas mal la mécanique du cinéma adolescent. Néanmoins, la toute fin est très conventionnelle, comme « patchée » après ce mémorable dernier acte, qui se suffit pourtant à lui-même.


Miike ne répond donc pas à la question « comment est né l’univers ? ». On s’en doutait. Il semble se ficher éperdument de cela, tout du moins dans ce film (Juvenile A abordant la question sous un angle beaucoup plus poétique et personnel).


God’s Puzzle est donc, d’une part, un film très drôle et sympathique, porté par l’infatigable Hayato Ichihara, de bonnes idées de mise en scène et des effets spéciaux plutôt réussis (même si difficilement comparables aux productions de ces dernières années). D’autre part, l’ennui peut poindre, notamment à cause d’un rythme très spécial (de longues explications, entrecoupées de débats en classe plus ou moins nécessaires). Quant à la quête initiatique de son frère jumeau, elle est inutile et plombe un peu plus le rythme.


Nous sortons donc de ce film l’esprit partagé. Les amateurs de Takashi Miike apprécieront sûrement, et n’auront probablement que peu de difficulté à rentrer dans ce voyage absurde. Le néophyte (s’il tient la première partie) y trouvera peut-être son compte, notamment dans ce final totalement barré qu’on aurait aimé voir arriver un peu plus tôt. La trop grande variété de sujets - la naissance de l’univers, la crise identitaire d’une jeunesse née dans l’omniprésence de la technologie, et la vanité des humains à vouloir résoudre des questions trop complexes pour leur âme qui l’est déjà tant - est sûrement un peu trop ambitieuse pour un seul film. Qu’importe, reste qu’il s’agit d’un teen movie éminemment sympathique, différent des autres productions du genre, Miike oblige.

batche
6
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le 6 déc. 2019

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batche

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