Victimisez-moi tout ça en vitesse !

Film incroyablement sous-estimé d'Emmerich qui a simplement eu le tort de manquer sa cible, son public cible. Récemment, avec un ami cinéphile un peu lassé de Tarkovski et d'Haneke, nous tentions de faire l'inventaire des blockbusters à moneyshots les plus divertissants existant à ce jour et étonnamment, une fois les grosses licences à épisodes épuisées, on n'en a pas tant que ça. C'est là que ce vieux souvenir a ressurgi car il était impensable évidemment d'omettre Emmerich et son Independance Day ni la série japonaise de DaiKaiju au lézard (ou de ceux à la tortue) et donc de ce film qui est à leur conjonction planétaire.

Alors pourquoi ce film fait-il une quasi unanimité contre lui me demanderez vous ? Même les grosses reusta de SensCritique la lapident en deux phrases assassines, eux qui sont pourtant capables de vous revaloriser aussi bien les pires comédies de Martin Lawrence comme certains monuments d'ennui faussement novateurs comme la Jetée de Chris Marker ? (OK ça c'était gratuit)

Venons-en donc à la critique proprement dite : D'abord je dois préciser que j'adore Ray Harryhausen et l'objet filmique en général pour ce qu'il est : une attraction foraine avec de gros jouets très élaborés en latex ou en carton-pâte léchés par une caméra gourmande sous des éclairages irréalistes (avec des pluies d'étincelles, des flaques miroitantes, des faisceaux de projecteurs palpables, des flashes d'appareils-photo et des poubelles en métal roulant sur les pavés noirs de ruelles coupe-gorges).

Le terme de "carton-pâte" en lui même est déjà connoté comme scandaleux alors que tout dépend en réalité de l'habilité du sculpteur (et du filmeur et du Grand-Narrateur), toute maquette n'a pas vocation a être réaliste si elle est très belle ou très intéressante (revoir l'Impératrice Rouge de Von Stroheim). Tout comme le King Kong avec Patrick Swayze, injustement oublié lui aussi, et dont ce Godzilla s'inspire pas mal au passage. Ici tout est beau, tout est grand, tout est généreux, rien n'est mesquin.

Et c'est là le problème du film.

Emmerich l'a compris après, j'imagine, mais ce film se destinait avant tout aux adolescents et aux très jeunes adultes or il en a fait un film 100% familial avec des personnages très faciles à appréhender, des intrigues simples piquées au Spiderman des comics (mais Sam Raimi n'est pas si loin avec son Darkman) de petites trahisons entre jeunes journalistes pleins de candeur partagés entre bons sentiments et légitime (mais naïf) désir de réussite professionnelle et de transcendance personnelle dans un univers impitoyable incarné par les médias, des militaires et des politiques grassement incompétents, veules, cupides et menteurs, tous autant qu'ils sont.

Or les ados détestent par dessus tout être confondus avec des enfants. Ils veulent du sang, de la fesse, de fines allusions à la drogue et à la dépression pour écarter tout risque de confusion. Toutes choses que ce film ne compte pas. On est ici dans une chambre d'enfants à ciel ouvert avec des monstres géants et de la Pizza. Par la fenêtre on aperçoit un New York ensoleillé qui est le second personnage le plus important du film après la formidable bestiole et dont la plupart des personnages ne sont que des manifestations Jungiennes archétypales :

- Le cameraman italien risque-tout

- La serveuse de dinner gouailleuse tout droit sortie de Recherche Susan Désespérément,

- La wannabe Reporter victime de sa propre naïveté et tous les archétypes de profiteurs bas-du-front et sans morale qui font de cette ville une jungle.

- Le militaire performatif sans morale qui finira par laisser parler son cœur et se ranger du côté du bien, et de ses amis enthousiastes et idéalistes par goût de l'humanité, quitte à trahir sa hiérarchie

...

On pense à Tarzan comme aux Tortues Ninja, il y a même une petite saveur Capra dans le côté moralisateur gentil et volontiers bavard qui pardonne à tous en fin de compte. Le film est simple, il est chouette, il est généreux, il ne vaut pas moins qu'un Jurassic park 2 par exemple sur le plan formel mais celui-ci n'avait pas commis l'erreur de fâcher son public d'adolescents en les confondant avec des enfants, public qui s'érigera alors prétendument en GateKeepers de la licence japonaise qu'ils avaient à peu près tous totalement ignorée jusque là voire copieusement méprisée, du moins les films. Mais quand on veut donner un vernis de crédibilité à sa mauvaise foi, quels arguments fallacieux n'accepterait-on pas ? de quel bois refuserait-on de se chauffer ?


Moi qui (ah l'instant Narcisse ! Nous y voilà!) étais allé jusqu'à Tokyo pour en trouver des copies à l'époque (je parle des itérations japonaises naturellement), je peux témoigner que pas grand monde ne se souciait ni ne prenait au sérieux notre gros lézard en mousse cracheur de lasers (ni Gamera ni d'ailleurs MegaGuirus qui justement fait le lien avec Alien et donc avec le présent métrage qui va aussi chercher de ce côté terreur reptilienne impitoyable).

C'est peu de dire qu'en entendant ma réponse à la question de la raison de mon voyage, je me voyais traité avec condescendance et réprobation.

J'ai quand même tendance à penser que le Gojira japonais, ainsi que Gamera et tous les autres, cristallise efficacement une grande part de la culture et de l'esprit notamment Shintoïste du pays, bien qu'il s'inspire au départ ouvertement de films américains dont King Kong (d'où la première syllabe de son nom renvoyant à "Gorilla"), mais enfin, allez expliquer ça à ceux qui ne voudraient ne retenir du Japon que la culture bourgeoise institutionnelle et élitiste comme le Kabuki, le Nô, le Bunraku ou l'Ikebana (qui ne les intéresse que deux jours par an) et ignorer, autant que faire se peut, tout ce qui touche au manga et à l'anime (supposément débilitant puisque Télérama l'a dit, et Ségolène Royal et Antoine De Caunes, que vous faut-il de plus ?) à l'exception notable du très respectable Miyazaki. Miyazaki dont ils ignorent pourtant qu'il a, presque servilement, conformé ses films aux goûts européens, oui, cela à l'époque où il exerçait la profession de démarcheur en Europe pour le studio qui l'employait alors et se trouvait confronté à des diffuseurs européens qui lui demandaient du Heïdi et du Sherlock Holmes.

Mais c'est un autre sujet.

Emmerich ajoute une large rasée de message écologique sommaire certes mais de bonne volonté (et fidèle à ce que les japonais y avaient mis eux-mêmes) : "Apprenez à apprivoiser un animal ou essayez au moins, avant de lui tirer dessus."

(Ici ou pense au Géant de Fer ou au Jour Où La Terre S'Arrêta)

Mais hélas, son message ne semble pas être passé cette fois là.

Enfin Jean Reno, Jean Onimusha Reno, qui partage avec Besson un rapport d'amour-haine avec son public et surtout avec le grand public français puisqu'en quelque sorte il endosse ici un costume d'ambassadeur, une caricature du Français obsédé de croissants et de café qui dit "merde" en VO, fait un peu tache pour nos compatriotes qui se voudraient représentés de façon plus propice à susciter une admiration stupéfiée et tremblante.

Mais n'est ce pas plutôt, au fond, une autre excuse pour reprocher au film un côté simple assumé et revendiqué qui ne recherche que le divertissement accessible à tout âge ?

Je pense que si.

uzralk
7
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le 15 août 2023

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uzralk

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