Vous connaissez l'odeur de sainteté? C'est un truc de religieuses fanatiques qui ne se lavent jamais, pour exprimer leur foi - une forme de renoncement à la chair, une manière de puer le cadavre de son vivant. Un acte de contrition, toutes ces fadaises.(1)
Et bien à la fac, parmi la foule bigarrée avec laquelle je partageais les repas au restaurant universitaire, se trouvait un grand dadais d'étudiant en espagnol, qui nous avait présenté une Espagnole. Elle avait un bec de lièvre mal refait, portait des lunettes pas très stylées, et on me disait qu'elle se masquait le visage lorsque deux acteurs s'embrassaient au cinéma, et qu'enfant sa famille s'était débarrassée d'elle dans un pensionnat de l'Opus Dei. Bon, une paire d'années plus tard, je ferais la connaissance d'une Espagnole anarchiste, histoire d'équilibrer le tableau.
Alors un beau et chaud soir de la fin du mois de juin, je ne sais pas ce qui m'a pris mais je me suis pointé vraiment tôt au restau, j'avais une énorme envie de cette bonne bouffe que le CROUS offrait à nos jeunes corps en fin de formation. Et là je vois l'Espagnole, assise en bout d'une grande table, seule. Je n'avais jamais discuté avec elle mais nos amis communs allaient rappliquer donc je ne voyais pas de raison de me poser à une table différente, et m'invitai en face d'elle. Bon sang ce qu'elle puait! Je ne pouvais pas manger. J'ai tenu le coup jusqu'à ce que nos convives rappliquent, puis je suis allé me placer à l'autre bout de la table et j'ai pu commencer à baffrer.
Merci l'Opus Dei !


Dans le film formidable qui nous occupe aujourd'hui, une des habituées du bar le Gant Doré (?) explique sans ménagements à une femme de l'armée du salut au sourire figé venue s'asseoir à sa table, qu'elle avait grandi chez les soeurs, qu'elles ne se lavaient jamais, et qu'elles prenaient sa main pour la fourrer dans leur chatte.
Fatih Akin recrée pour nous une époque où tout le monde fumait et picolait, où les bars abritaient une convivialité de la misère (un peu comme dans ces films de Terence Davies où l'on voit des Angliches plus ou moins avinés chanter en coeur dans un pub), où personne ne pratiquait le fitness, et où si l'on était pauvre, on pouvait crever sans que la société en ait rien à foutre, même en Europe de l'Ouest.


On ne peut mettre l'arrestation du tueur en série ici concerné que sur le compte de sa crétinerie et d'une malchance phénoménale - ainsi que d'une incroyable isolation sonore pour un appartement aussi miteux, car les voisins du dessous ne remarquaient rien de ses exactions approximatives et briseuses de mobilier. Ca laisse songeur sur le nombre de fous à peine moins idiots qui ont dû passer entre les mailles du filet...


Ce film qui donne envie de foutre le feu au reichstag est la comédie noire la plus drôle que j'ai vue de toute ma vie, et je vous encourage à la voir en salle car il y a une sorte de consolation à entendre d'autres personnes s'esclaffer devant la peinture de cette misère désespérante - vraiment, je crains que le constat social ne prenne le dessus et ne vous inflige une bonne déprime si vous regardez ce film tout seul devant votre télé - videz les barbituriques dans les toilettes de manière préventive au cas où. Mais le film est vraiment de plus en plus drôle à mesure qu'il avance, même le générique de fin est excellent, avec les photos judiciaires sur les sprays d'anti-mouches du tueur sur fond de choix musical PARFAIT. D'ailleurs il n'y a pas de bande sonore extra-diégétique, et la musique pop allemande de l'époque joue un rôle dans l'ambiance navrante et humoristique.


Enfin voilà, si vous attendez du cinéma qu'il vous montre ce que vous n'avez jamais vu avant, vous serez comblés. Mais si vous trouviez déjà des films comme 10 Rillington Place, l'Etrangleur de Boston, Frenzy ou Henry Portrait d'un tueur en série trop glauques, évitez quand même de suivre mon conseil cinéma de la semaine.


Je vois que les "influenceurs" qui sont toujours les premiers à aller voir la dernière bouse Marvel pour constater que, oui, c'est encore plus nul que les précédents, ou pour s'extasier devant le dernier reboot nazebroque d'une "franchise" des années 80, ne se sont pas empressés d'aller voir et d'écrire une critique sur ce film qui entre direct dans le panthéon des films cultes - pas "mes" films cultes (usage tardif et contresens), LES films cultes - du cinéma de genre si vous le voulez, je ne fais pas de hiérarchie. Vous assurez pas les gars.
Alors voilà, je n'ai pas votre "visibilité" mais je contribue dans ma faible mesure à inciter les gens à aller voir ce film-ci, parce que c'est le seul avec Parasite qui m'a plu cette année. Même si d'autres critiques parmi la petite dizaine trouvable sur ce site, sont bien meilleures.


Je finirai par une citation tirée du Fluide Glacial de février 2018, car en plus de faire la leçon, j'aime étaler ma culture. Dans un article sur Lina Wertmuller, Phil Casoar écrit ceci sur Pasqualino Stettebellezze : "En Allemagne, faux blessé échappé d'un train sanitaire bombardé, Pasqualino est capturé par les nazis et interné dans un camp de concentration. Perdu pour perdu et prêt aux bassesses les plus visqueuses, Pasqualino le tombeur décide pour survivre de séduire la kapo du camp, kolossale interprétation de Shirley Stoler, l'actrice des Tueurs de la Lune de Miel [je l'avais oublié celui-là!] dans une scène de baise inouie! Lina appelle ça le "grotesque glauque", exercice limite : "trop , tu bascules dans le trash" dit-elle.""
On parlait déjà de trash à l'époque? Il me semble que grotesque+glauque couvrent déjà bien le concept!


Golden Glove est paraît-il fidèlement adapté d'un roman inspiré de faits réels. Je me permets de rappeler à des gens comme Anderson ou Bonnello qui se croient plus géniaux que Kubrick ou Spielberg (qui ne sont jamais les auteurs isolés de leurs scénarios, et ont souvent adapté des histoires préexistantes), que non, vous ne savez pas raconter une histoire, alors faites plutôt des clips ou des courts-métrages -2 heures de vos trucs "artistiques", c'est trop pour le commun des mortels.
Comme le dit ici un philosophe de comptoir : on boit quand on est joyeux, on boit quand on est malheureux, et on boit quand on s'emmerde!


(1) je donne ici une description de la réalité, pas de l'acception religieuse qui en est l'exact opposé (cadavres qui sentent la rose)!

ChatonMarmot
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le 6 juil. 2019

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