Le cinéma s’est construit autour de grands noms, en partant de Meliès, en passant par D.W. Griffith, Fritz Lang, John Ford, Orson Welles Alfred Hitchcock, David Lean, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, et bien d’autres. Et encore, je ne vous parle que des réalisateurs. L’auteur qui nous intéresse aujourd’hui, et j’insiste sur ce terme, mérite, à mon sens, de côtoyer ces noms au sein de cette liste. David Fincher est en tout point quelqu’un qui a su façonner le paysage cinématographique de façon durable, s’érigeant en référence incontournable. Mais avant de nous pencher sur le film qui nous intéresse aujourd’hui, petit retour sur la carrière de son réalisateur.


Fincher est issu du monde des effets visuels, il fit ses premières armes au début des années 80 chez ILM (Industrial Light and Magic, la boite d’effets spéciaux de Georges Lucas), ce qui lui permit de travailler sur Star Wars VI et Indiana Jones et le Temple Maudit. Il partit faire ses armes dans le monde de la pub et des clips musicaux, c’est notamment à lui que l’on doit celui de Who is it? de Michael Jackson. Son premier long métrage sort en 1992, il s’agit d’Alien 3. Il est encore difficile de dire à quel point Fincher a pu influencer le résultat final tant il a rencontré des problèmes avec les producteurs durant le tournage. D’une part, on ne lui a pas accordé le Final Cut (le fin mot vis-à-vis du montage final), et il existe aujourd’hui deux versions du film, sans que l’on puisse dire laquelle est la plus proche de la vision de Fincher. Il en gardera un souvenir amer et n’hésite pas à nier la paternité du film, allant jusqu’à dire qu’il n’a jamais travaillé dessus. Toujours est-il que quel que soit la version, on est clairement en deçà des deux premiers volets de la saga. De cette expérience douloureuse va naitre en 1995 le film qui a révolutionné le monde du thriller et qui fait déjà figure de chef d’œuvre en dépit du peu de temps qui s’est écoulé depuis sa sortie : Seven. Le succès est total, aussi bien critique qu’au box-office, et son nom est sur toutes les lèvres. Curieusement, son film suivant, The Game, ne réussit pas à renouer avec le succès de son prédécesseur. Mais encore une fois, Fincher en ressort plus fort avec Fight Club en 1999, une nouvelle fois un échec au box-office (américain tout du moins) mais qui accède très vite au rang de film culte. Par la suite, il enchaine des projets qui ne font que confirmer son talent : Panic Room en 2002 (peut être son film le plus modeste), Zodiac en 2007, L’Etrange Histoire de Benjamin Button en 2008, The Social Network en 2010 et enfin Millenium en 2012. De cette filmographie, on peut observer la marque de fabrique de Fincher : techniquement, c’est exceptionnel. La photographie est toujours impeccable, mais c’est surtout sa façon de filmer, de placer et de déplacer la caméra que l’on retient, tout est millimétré et on a le sentiment d’être prisonnier de ces cadres, il ne nous montre que ce qu’il veut bien montrer. Mais aujourd’hui nous sommes là pour parler de Gone Girl, son dernier film qui est, une fois n’est pas coutume, un thriller.


Gone Girl raconte l’histoire d’un couple, celui formé par Nick et Amy Dunne (Ben Affleck et Rosamund Pike). Le film s’ouvre sur un Ben Affleck seul qui va découvrir la disparition de sa femme. Certains signes laissant présager le pire, il décide d’avertir les forces de l’ordre et la collectivité afin de vite la retrouver. Mais au fil des évènements, les preuves semblent s’accumuler contre Nick au point que nous, spectateurs, finissions par nous poser des questions sur l’innocence de celui qu’on nous présente au départ comme un mari à la recherche de sa femme.


Je ne vais malheureusement pas pouvoir beaucoup m’étendre sur le scénario du film, comme vous pouvez vous en douter, il est riche en rebondissements et il ne faut attendre très longtemps avant d’assister aux premiers. Je me contenterai de dire que l’écriture est ici magistrale dans la mesure où la tension est omniprésente, jusqu’à la dernière seconde.


Techniquement parlant, ça reste du Fincher tout craché, la photographie est proche de ce qu’on a pu voir dans Millenium et dans The Social Network, il utilise une technologie numérique qui si à première vue permet d’obtenir de très belles images donne aussi un côté froid au film, froid de réalisme si j’ose dire. Il y a une particularité que j’aimerai relever : il s’agit des fondues (les transitions, pas le plat à base de fromage) entre les séquences (voir entre les plans d’une même séquence parfois). Fincher est plus coutumier des coupures directes entre ses scènes mais ici, il se sert de fondues au noir. En ce qui me concerne, cela me rappelle les différentes mises en scène que j’ai pu voir de séquences oniriques, ce qui nous pousse dans le cas présent à nous questionner sur la réalité de ce que nous sommes en train de voir. Une séquence en particulier, la plus violente du film, se sert de ces fondues au noir entre chaque plan ce qui pour le coup renvoi plutôt au registre du cauchemar. Au-delà de ça, Fincher reste toujours très avare en terme de mouvement de caméras, ce qui, je le répète, étouffe le spectateur, renforce son sentiment de n’avoir aucune prise sur ce qui peut se passer.


Les thématiques sont aussi ce qui fait la force du film. D’une part, les médias. Je ne pense pas vous étonner si je vous dis que les chaines de télévision ont envoyé leurs « meilleurs » reporters pour couvrir l’affaire car oui, les enlèvements, ça fait pleurer dans les chaumières. Bien entendu, Fincher pointe aussi comment les spectateurs de ce genre de programme peuvent s’impliquer dans ce genre d’affaire qui ne les regardent pas au premier abord, j’ai été particulièrement marqué par un plan où on voit des jeunes prendre des selfies devant un des lieux marquants de l’histoire. Il faut voir aussi comment l’opinion générale est générée par les émissions de TV. Il aurait été facile de faire une critique allant dans le seul sens des médias mais en fin de compte, tout le monde en prend pour son grade. C’est amusant de voir comment la couverture médiatique de l’affaire fini par ressembler de plus en plus à une télé réalité. Indirectement, Fincher propose également une lecture peu reluisante de la vie de couple tant fantasmée mais qui s’avère être pavée de désillusions. D’autres thèmes sont malheureusement liés aux différents twists du film, je n’en parlerai donc pas.


Et pourtant, quelque chose ne m’allait pas. J’avais beau être conquis par la technique, le scénario, le jeu des acteurs, etc… il y avait quelque chose qui me dérangeait. Je n’ai aucune certitude mais je pense que ça vient de l’humour noir, Fincher glisse par endroit certaines blagues alors que le contexte ne s’y prête pas vraiment. Attention, quand je dis blague, ne vous attendez pas à rire à gorge déployée, cela reste plus subtil. Il n’empêche que cela apporte au film une lecture au second degré tandis qu’au premier abord, il a l’air d’être très « premier degré ». C’est une source de frustration en ce qui me concerne dans la mesure où je ne sais plus vraiment s’il faut le prendre au sérieux ou non, un peu à la manière de Fight Club, à ceci près que j’ai un avis plus tranché sur ce dernier.


Il serait criminel de ne pas vous conseiller d’aller voir Gone Girl, vous passeriez à côté d’un thriller réalisé d’une main de maitre par l’un des metteurs en scène (si ce n’est LE metteur en scène) du moment, avec un scénario qui vous fera trembler jusqu’à la dernière minute. Vous risquez même d’être surpris par Ben Affleck, souvent critiqué pour son jeu monolithique mais qui trouve ici tout son sens. Bref, je terminerai en vous conseillant toute la filmographie de David Fincher, (peut-être moins Panic Room), on ne peut que se réjouir qu’un réalisateur avec une personnalité aussi affirmée arrive à faire produire ses films et surtout à rencontrer le succès. Je ne sais pas vous mais moi ça me redonne foi en l’humanité… et en Hollywood.

remimazenod
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le 16 janv. 2017

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Rémi Mazenod

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