On dit souvent aujourd'hui que le cinéma de genre va mal, seulement personne n'est vraiment capable de donner la même définition de "film de genre" : un film rattaché à un genre particulier ? Sauf que quasiment tout les films appartiennent à un genre, même les films d'auteur (Melancholia est un film de science-fiction dramatique par exemple). Un film échappant au mainstream ? Dans une moindre mesure peut être mais la notion de courant principal est subjective à chaque pays ; en France par exemple c'est les comédies alors que cela n'est pas forcément le cas de tout les pays donc selon cette définition chaque pays aurait une liste bien différente de films de genre. Moi je dirais plutôt que le cinéma en général va mal en France de nos jours et que plus particulièrement, le problème des films fantastiques, de science-fiction et d'épouvante-horreur est qu'ils sont peu exploités ! En effet, on en fait quasiment jamais ! Donc quand des films comme Grave sont réalisés, c'est un petit pas satisfaisant, surtout quand le résultat est positif.


Attention cette critique comporte de nombreux spoilers...


Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Naït Oufella, on ne va pas se mentir, avant Grave personne ne les connaissait ; mais j'espère que le succès critique de ce film nommé pour six Césars et récompensé par le Grand Prix du Festival international du film fantastique de Gérardmer leur serra bénéfique car ils ont été supers ! Par rapport à leurs personnages, on retient que Garance Marillier est attachante en adolescente surdouée qui se découvre cannibale et qui essaye de contrôler ses pulsions pour ne pas faire de mal aux autres. Ella Rumpf fait quant à elle directement inspirer de la méfiance envers son protagoniste qui à l'inverse de sa sœur cultive ses instincts sauvages. Enfin, Rabah Naït Oufella est crédible, drôle et touchant dans le rôle du pote de fac du personnage principal, un homosexuel avec un style un peu caïd qui éloigné de son environnement peut vivre sa sexualité sans se cacher.


Donc Grave a un bon casting, même si ses acteurs sont quasiment inconnus. Pour le film en lui-même, nous pouvons commencer par dire que l'ambiance est réellement déstabilisante ! Grave a un esthétique assez jolie notamment grâce à sa sublime photographie. Certains choix au niveau des couleurs rappelleront des films tels que Suspiria de Dario Argento ou encore The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, donc c'est évidement visuellement plutôt intéressant et parfois bizarre. Mais il y a aussi, par opposition des scènes très graphiques un peu beurk au sens horrifique du terme : cheveux coincés dans la gorge, doigt coupé, chaire humaine arrachée avec les dents, état de transe devant la chaire d'un cadavre, gros plan sur un œil léché (wtf???). Le film ne fait clairement pas peur, il est juste dégeu mais ça reste très déstabilisant. Et même s'il n'est pas flippant, Grave se rattrape sur son intensité puisqu'il y a pas mal de tension et d'intensité, chose qui est rendu possible avec des scènes comme celle de la morgue ou celle de la bagarre entre les deux sœurs mais aussi grâce à la bande originale composée par Jim Williams qui est d'une part excellente et d'autre part montée de telle sorte qu'elle se marie très bien avec les différentes scènes selon leur registre (horrifique, dramatique, déjanté) ainsi qu'avec le visuel.


Ce qui est dénoncé dans ce long-métrage, c'est les dérives du bizutage chez les étudiants du supérieur : la réalisatrice prend position en s'attaquant à une véritable tradition dans le milieu universitaire. Dans son film, il y a une réelle pression exercée sur les étudiants de première année pour que ces derniers acceptent de subir des traitements ridicules, répugnants comme la scène où les personnages doivent manger des reins de lapin crus, humiliants et même portant atteinte à la dignité humaine. Les personnages ont en effet le choix de se faire bizuter mais c'est un faux choix puisqu'ils acceptent ces traitements par peur d'être rejetés ou moqués jusqu'à la fin de leurs études... un rite de passage un peu con et pourtant une réalité, surtout dans les facs de médecine. D'ailleurs, la scène avec le sang d'origine animale versé sur les jeune n'est pas sans nous rappeler la scène du sang de porc versée sur Carrie White dans le film Carrie au bal du diable de Brian de Palma, un autre film qui aborde le harcèlement scolaire. En matière de harcèlement, Julia Ducournau va même plus loin en abordant l'influence des réseaux sociaux lors de la terrible de scène de la morgue. Elle fait également référence lors d'une autre scène aux troubles du comportement alimentaire avec une jeune fille qui donne des méthodes pour se faire vomir. Cela nous rappelle que ce phénomène est assez fréquent chez les jeunes qui pour se sentir mieux acceptés dans un groupe veulent avoir un physique parfait ; certains souffrants de dysmorphophobie, ils deviennent anorexiques ou boulimiques vomitifs. Cette volonté d'être accepté dans la masse est exprimée au début du long-métrage dans la scène où l'infirmière parle d'une jeune fille obèse baladée de services en services au centre hospitalier universitaire "à cause" de son poids, celle-ci ne s'est pas plainte par peur de se faire remarquer "puisqu'elle n'est pas dans la moyenne". C'est à la fois original et subtil de dénoncer toutes ces choses avec seulement le thème de la nourriture / l'alimentation !


Il y a une autre chose originale et intelligente dans le film, c'est la façon vision très singulière à travers laquelle cannibalisme est représenté. Ce n'est pas quelque chose que Justine découvre par simple curiosité morbide, c'est quelque chose qui était encré en elle depuis bien longtemps, qui fait partie de ses instincts primitifs ! On a d'une part une vision héréditaire du cannibalisme : la mère a transmis ce trouble à ses deux filles. On peut penser que c'est une idée scénaristique un peu exagérée mais moi je trouve ça intéressant quand on sait que dans la vraie vie, une bonne partie des pathologies mentales peuvent avoir des sources génétiques. D'autre part, le thème de la mutation est largement abordé : une mutation physique car cela se réveil chez Justine par une sorte d'allergie assez violente. On a une évolution progressive puisque d'abord le corps de Justine rejette la viande, comme pour se protéger ; puis il a envie de chère, en a même besoin, d'abord de la viande animal puis de viande humaine. Lorsque les sœurs ont des envies cannibales, il y a une véritable mutation physico-psychologique puisqu'elles sont plongées dans des états de transe où elles deviennent incontrôlables, séductrices, agressives, pâles, tremblotantes et ont un regard sauvage. Il y a un parallèle entre tout ces changements et la découverte de la sexualité à travers une association entre le plaisir de la chaire au sens sexuel et plaisir de la chaire au sens cannibale ! Justice qui est vierge au début du film va au moment de devenir cannibale avoir envie d'explorer sa vie sexuelle et très vite se rendre compte que c'est dans ces moments de plaisirs que son envie de bouffer les autres atteint son paroxysme, c'est très intéressant ! Il y a au premier plan une évolution vers le cannibalisme mais film s'inscrivant dans le sous-genre "coming of age", il y a en second plan une réelle évolution vers l'âge adulte à travers la découverte du sexe, l'indépendance et la prise de conscience qu'avec autrui (élèves, famille, professeurs), tout n'est pas rose.


On a donc un film d'épouvante-horreur gore qui même s'il ne fait pas peur reste très déstabilisant et intense, il ne vous laissera pas indemne ! Mais Grave est plus que ça, c'est aussi un film d'auteur avec une véritable mise en scène mêlée à un esthétisme parfois étrange. Le scénario est simple mais les différents thèmes (bizutage, sexe, cannibalisme, indépendance, famille ect...) exploités et mêlés de manière assez originale et très intéressante. Julia Ducournau nous a pondu un premier long-métrage qui s'inscrit déjà comme l'un des meilleurs films d'horreur français.

MovieBuff
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le 12 mars 2018

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