Dis maman, quand je serai un chat, je pourrai manger des croquettes ?

Je crois que je n'avais jamais entendu parler de ce film, même en cherchant des films à voir dans la filmographie d'Herzog, jusqu'à il y a quelques jours... Et c'est absolument fabuleux. C'est un film dont il est extrêmement difficile de parler tant il aborde de sujets différents au travers du destin de cet homme, sans doute un peu fou, du moins jugé comme tel par ses contemporains, qui vécu pendant 13 été parmi les ours.


Le film s'ouvre limite avec l'annonce de la mort du personnage principal, juste après qu'on l'ait vu parler de ses ours et où j'avoue m'être un peu moqué de ce pauvre type à la coupe de cheveux improbable qui semble totalement à l'ouest. Alors forcément ça calme tout de suite lorsqu'on te dit que ce type a été retrouvé avec sa copine dévoré par un ours. On sent que le destin est en marche et que peu importe ce que l'on va voir à présent, aussi proche qu'il pourra sembler des ours ou de la nature, cette même nature finira par en faire son déjeuner.


Et là le film devient absolument fabuleux, parce qu'on a différents niveaux de narration, on a juste Tim Treadwell qui décrit ce qu'il voit, qui se met en scène devant sa caméra, on a les entretiens que mène Herzog et tout au-dessus de ça on a Herzog qui impose son propre commentaire. Au début il laisse pas mal dire les gens qui l'ont connu avant de prendre la main et de mettre en avant sa propre vision.


Je dois dire que j'ai été vraiment touché, à la fois par ce que j'ai vu de la vie de cet homme, mais aussi parce que dit Herzog sur cette vie, j'aime sa façon de venir intellectualiser (ou est-ce juste une sensation ?) les images produites par Treadwell, où il va les expliquer, faire des liens avec son propre travail, ou tout simplement se questionner, se demander si finalement tout ça n'a pas un sens. D'ailleurs j'ai l'impression (il le dit explicitement à la fin en plus) que Herzog est à la recherche d'un sens à ces images, au comportement de Treadwell, comme si ça ne pouvait pas être juste malade qui vit avec les ours.


On peut remarquer que les commentaires des gens qui l'ont bien connu son vraiment bienveillant et qu'au contraire, ceux qui le connaissaient mal le prenaient vraiment pour un fou. Et ce que j'ai vu dans ce film c'est pas forcément quelqu'un de très intelligent, mais quelqu'un qui a réussi à créer son propre système de valeur, prenant en grippe la société (Herzog le souligne très bien) et montrant une place possible pour un être humain loin de la civilisation, vivant non pas en harmonie avec la nature, mais dans la nature, avec ses risques, ses hauts et ses bas.


D'ailleurs on apprend qu'il était sous antidépresseur à un moment et il a cessé de prendre ses médicaments exactement pour cette raison, pour vivre pleinement car la vie n'est pas un continuel entre deux, mais bel et bien une montagne russe (Nietzsche ne dit pas autre chose).


Donc rien que pour ça ce type a mon respect, cependant je rejoins tout à fait Herzog lorsqu'il devient plus critique et qu'il met en exergue la naïveté du bonhomme qui croit à une harmonie de la nature, un "Eden" où tout serait parfait et qu'on le voit alors confronté à la nature, la vraie, celle qui fait mal, celle qui tue, celle qui est injuste. Ou même lorsqu'il s'en prend aux mauvaises personnages, où il n'a pas la finesse d'esprit pour accuser les bonnes personnes des maux de ce monde et de mettre un nom sur le mal qui le ronge : "la société".


Ce que j'ai compris c'est que ce type ceux qui ne l'ont pas connu ne peuvent pas le juger car ils sont dans la société, et si on fait partie de ce monde et qu'on juge quelqu'un qui n'en fait partie, il est forcément désigné comme un fou, comme un malade, car il met en péril la société rien qu'en montrant qu'autre chose est possible. Il est rejeté par sa différence, car il a trouvé de nouvelles valeurs.


C'est vraiment un film qui m'a ému aux larmes à de nombreuses reprises, notamment lorsque Herzog dit que les images que Treadwell filme sont uniques, inattendues et que l'on voit sa relation avec un renard, c'est quelque chose d'extrêmement pur, qui si ce n'était pas contrebalancé plus tard pourrait faire croire à cette harmonie tant désirée. Et finalement je veux aussi vivre dans la nature, pour vivre ça, pour vivre.


Je ne peux pas conclure cette critique sans parler du moment fatidique, le moment le plus marquant du film, le moment où on a un légiste qui raconte la mort après avoir entendu la bande audio de la mort de Treadwell, où d'une manière assez étrange (une requête de Herzog ?) il mime la mort du couple. De plus il est debout, or dans un entretien classique on a plutôt l'habitude qu'un professionnel soit assis à son bureau ou s'il est debout qu'il nous montre quelque chose, là il se met totalement en scène, filmé d'assez prêt en plus. C'est vraiment déstabilisant et ça nous fait vraiment rentrer dans la mort de ces gens. Il est évident que j'étais tout remué, mais là où Herzog fait très fort c'est qu'il en remet une couche en se montrant lui-même écouter cette bande audio, et on le voit se retenir de pleurer juste après avoir vu un gros plans sur l'amie de Treadwell qui n'a jamais entendu la bande et qui sait ce qu'il y a dessus se retenir elle aussi de pleurer.


Le dispositif reste assez sobre, un gros plan, mais pas de musique et ça retranscrit toute la dureté de la scène, notre imagination fait le reste. C'est limite plus dur que de voir cette agression. Et je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle avec une agression d'un ours bien plus récent au cinéma, qui si elles sont forcément différentes, n'arrive pas du tout à avoir l'impact de celle de TimTreadwell. Je pense bien entendu à celle de The Revenant. Comme quoi, bien que les conditions soient différentes, la radicalité n'est parfois pas forcément une affaire de virtuose, mais de simplicité du dispositif et d'émotion... parce que lorsque Herzog demande à arrêter la bande parce qu'il ne tient plus... ben c'est fort, tu sais tout ce que tu as besoin de savoir, si lui ne tient pas, toi non plus tu ne tiendras pas. C'est que c'était vraiment horrible. Surtout que cette scène intervient alors que l'on connaît déjà bien le personnage, qu'on s'est attaché à lui, et qu'on l'aime... Renforçant ainsi l'impact émotionnel.


En parlant d'amour, on a plein de discussions de Tim avec lui-même, dont une que je trouve vraiment drôle où il raconte qu'il aurait aimé être gay pour avoir moins de problèmes qu'avec les femmes et puis où au fil de son monologue finit par conclure que les gay doivent également avoir des problèmes.


Et puis il y a cette énigmatique femme, que Tim Treadwell ne filme pas, dont on ne sait rien... et son rôle, ce qu'elle fait au moment de l'attaque de l'ours. Glaçant et beau. Surtout lorsque l'on apprend à la fin du film les circonstances de l'accident, qu'elle avait eu toutes les occasions de partir, mais qu'elle était là, avec l'homme qu'elle aime...


Un film terrible qui explore comme seul Herzog sait le faire l'âme humaine.

Moizi
9
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le 20 mars 2016

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Moizi

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