Déjà auréolé d'un certain succès publique et critique depuis son passage derrière la caméra (Take the money and Run, Bananas, Everything You Always Wanted to Know...), le très prolifique Woody Allen, qui s'est jusqu'alors illustré en parfait Groucho Marx des temps modernes ("I am marxist, in the Groucho tendency") revient en 1975 avec une adaptation sauce slap-stick comedy du chef-d'oeuvre de Tolstoï.
Le couple Allen/Keaton carbure à 4000 tours/min et reflète à merveille l'atmosphère grandissante de complicité qui règne entre les deux comédiens, ayant pour conséquence malheureuse de briller au détriment des personnages secondaires du film, dont l'écriture demeure quelque peu bancale.
Six ans plus tôt, l'étonnement bon Take the money and Run qui puisait dans le registre de sketch-writer que le metteur en scène avait développé aux premières heures de sa carrière, posait déjà les bases du personnage allenien chétif dont l'introspection névrotique en voix-off, l'autodérision systématique et l'attachement à la comédie de geste chaplinienne représentent l'essentiel de la force comique. Guerre et Amour complète la donne en apportant son lot de discours philosophiques absurdes, réflexions métaphysiques décalées et autres dialogues cyniques sur fond de psychanalyse et de perversion sexuelle qui se pérenniseront dans la suite de l'oeuvre.
On le voit, tout est là, Guerre et Amour semble être le dernier crash-test avant l'envol du cinéaste vers la découverte des contrées les plus prolifiques et virtuoses de son génie créatif (Annie Hall, Manhattan, La Rose pourpre du Caire, Hannah et ses sœurs, Crimes & Délits...).
Pourtant si tout est là en puissance, Guerre et Amour est bien encore un crash-test et non un envol. L'ensemble pétarade et peine à retrouver la fluidité et le rire facile des premiers films. Là où le Woody des premières heures déclenchait naturellement les rires lorsqu'il peinait à suivre la fanfare dans laquelle il jouait (affreusement) du violoncelle, devant continuellement s'assoir sur une chaise pour tenter de jouer une note (Take the money and run), la scène analogue parodiant Barry Lyndon dans laquelle Boris fait très maladroitement ses classes au sein de l'armée russe s'étire en longueur et la répétitions excessive des slap-stick gags, notamment celui du rechargement de l'arme, peine à convaincre. Aussi, l'écriture, grand point fort du cinéaste, s'avère-t-elle ici très inégale et empèse largement certaines situations, en dessous du niveau de finesse et de sophistication auquel le cinéaste a déjà si tôt habitué.
L'absurdité outrancière des références philosophiques et des discours logiques spécieux couplées au décalage que produit l'effet film de costume semblent éloigner le film de son registre naturel, l'humour intellectuel et sarcastique, pour l'amener vers une rhétorique humoristique proche de l'univers Monty Python (les multiples entrevues loufoques avec la Faucheuse au costume bon marché, le Napoléon idiot façon César/Michael Palin...)
Tout cela donne lieu à un ensemble quelque peu mal dégrossi où le savant mélange entre comédie potache et dialogues ironiquement sophistiqués qu'on reconnait désormais à l'artiste se trouve bien déséquilibré.
Comme conséquence logique, la référence à Tolstoï s'avère au fur et à mesure parfaitement superficielle voire dispensable tant elle ne représente, passée la première moitié du film, plus qu'un écrin quelque peu arbitraire au sein duquel les gags n'entrent que peu en écho avec le contexte des guerres napoléoniennes.
Reste, et il faut bien le reconnaître, qu'apercevoir Woody Allen en soldat de l'armée russe ou en ensemble de duelliste du dimanche et Diane Keaton en costume traditionnel malgré son dévergondage insistant apporte un certain plaisir qu'on ne boude pas et qui dans le temps, produit certaines images qui se figent dans l'esprit.
Néanmoins, le réalisateur s'embourbe quelque peu et la fameuse cultivation parodique de son propre personnage ne trouve ici pas la clef pour lui permettre de développer sa pensée du monde complexe, contradictoire et si ironiquement fantasmée, marque de fabrique de son immense succès à venir.